Épidémie Ernest Pignon-Ernest affiche le sida sur les murs sud-africains
Soweto (Afrique du Sud),Ernest Pignon-Ernest n’a jamais compris l’art, son art, que comme un engagement total : politique, poétique, plastique. Il vient de le redire à l’occasion d’un travail réalisé en Afrique du Sud, autour d’un problème majeur pour ce pays : le sida. Ernest Pignon-Ernest entretient des liens privilégiés avec l’Afrique du Sud. Dans les années soixante-dix, alors qu’il vivait à Nice, il a mis son talent au service de la protestation d’alors contre le jumelage de la capitale azuréenne avec le Cap, dans une période où l’apartheid régnait en maître. Le résultat : une affiche placardée sur tous les murs de la ville montrant une famille noire derrière des grillages. Ce fut un choc salutaire. Depuis, on le sait, il y a eu le Chili, Naples ou encore un portrait d’Arafat pour la société des Amis de l’humanité, dont le bénéfice des ventes sera reversée au profit des enfants palestiniens. Ce combat contre l’Afrique du Sud de la ségrégation, l’artiste l’a poursuivi dans le cadre des artistes contre l’apartheid. Un musée itinérant avait été créé (dans lequel on trouvait des ouvres d’artistes comme Lichtenstein, Antonio Saura, Soulages, Arman) qui a tourné dans une quarantaine de pays avant de rejoindre sa destination finale : l’Afrique du Sud enfin démocratique. Des ouvres remises à Nelson Mandela en personne en 1996 au Cap.
Cette fois-ci, sur proposition de l’Institut français d’Afrique du Sud (l’IFAS), Ernest Pignon-Ernest a donc investi les murs sud-africains selon sa technique originale donnant au dessin sa dimension sociale. En décembre 2001, en visite en Afrique du Sud, il visite des hôpitaux, des crèches, rencontre de nombreuses associations. Il se rend alors compte que le problème récurrent dans toutes les conversations est le sida. Il se souvient aussi de la fameuse phrase de Chris Hani : " Nous avons vaincu l’apartheid, nous vaincrons le sida. " Une phrase clé pour Ernest Pignon-Ernest. De sa mémoire il extirpe les images de la révolte de Soweto le 16 juin 1976. Une manifestation d’écoliers et de lycéens noirs réprimée dans le sang par la police blanche de l’apartheid. Une photo fera le tour du monde, celle de la mort de Hector Peterson, ce jeune garçon que l’on voit dans les bras d’un homme, sans vie. Cette scène si forte et si douloureuse dans la mémoire de l’Afrique du Sud d’aujourd’hui, Pignon-Ernest va la reprendre. Le geste est le même : deux personnages, l’un dans les bras de l’autre. La différence : le mourant a été fauché par le sida et il est dans les bras d’une femme. Deux façons de montrer le fléau actuel et l’une des clés, le rôle de la femme dans la société sud-africaine. En médaillon se trouve la photo originale.
Ses affiches sous les bras, Ernest Pignon-Ernest, comme à son habitude, s’en est allé les coller lui-même. Direction Soweto, bien sûr, mais également Durban, le grand port de l’océan Indien. Un peu comme des miroirs pour les passants. Un miroir si réfléchissant que tout le monde comprend qu’il s’agit du sida. On peut encore voir ces affiches sur les murs à Kliptown et à Warwick Junction. Elles sont en partie déchirées mais l’image n’est pas éteinte. Elles accrochent le regard peut-être plus encore.
Article de P. B. paru dans l'édition du 28 décembre 2002 de L'Humanité.

Hetcor Peterson