- Avant-propos
Le Japon médiéval est entré dans l'histoire, et pourtant l'originalité actuelle de la nation japonaise n’est pas étrangère à ce que fut cette période au cours de laquelle s’est illustré celui que l'on nommait le Bushi, guerrier de la féodalité.
Durant plus de huit siècles (8e au 16e siècle), l'histoire du Japon n'a été qu'une interminable guerre civile et c'est sans doute la raison pour laquelle nulle part ailleurs que dans ce pays, les traditions martiales - l'Art martial - et le culte du guerrier n’ont si profondément marqué la culture et la psychologie du peuple.
Ce personnage - le Bushi - a de tout temps été considéré comme une figure héroïque. Au 8e siècle - le KOJIKI-NIHON - SHOKI et le MA NI YOSHI - sont deux ouvrages qui font déjà référence à la tradition martiale en parlant du guerrier du courage dont l'honneur s'acquiert par l'accomplissement du devoir et dont le courage est aussi essentiel que la loyauté. Aux 12e et 13e siècles, la chronique des HOGEN , la chronique des HEIGI , la chronique des HEIKÉ illustrent fort bien le penchant des Japonais pour les prouesses militaires et leur admiration pour le Bushi. Le terme Bushi ne s'applique qu'au seul guerrier de l'époque pré-féodale et féodale du 9e au 19e siècle. Il est un peu le frère du Chevalier des contrées occidentales. Certains historiens et sociologues pensent qu'il n'est d'ailleurs pas étranger à la mentalité du soldat japonais de la dernière guerre.
Le Bushi appartenait à la classe des guerriers dont il était le représentant le plus illustre. Elle comprenait divers rangs attribués d'une part, en fonction du mérite, d'autre part en fonction de la faveur dont on jouissait auprès du Shogun (chef militaire du pays). Le Bushi, connu en Occident sous le nom de Samourai, était le guerrier le plus noble. Il était au service du Shogun et plus spécifiquement attaché à un daimyo (chef d'un fief- "han").
Ces Samourais, combattants rudes, rompus à la souffrance physique, résignés devant le sort, devaient être préparés à accomplir leur devoir de guerrier sans défaillance, car d'eux seuls dépendait la survie du territoire et du daimyo. Ils étaient les gardiens du "han" et devaient être des chevaliers sans peur et sans reproche. C’est pourquoi, dès le début de leur existence, ils se conformèrent à un code de conduite non écrit. S'ils le transgressaient, la sanction était la mort. Ce premier code est généralement appelé la voie de l'Arc et du cheval . Il était assez primitif et surtout pratique.
A l'époque Kamakura (1192 - 1333) la classe guerriers eut accès aux fonctions gouvernementales. La notion de Budo (Voie du guerrier) prit alors une dimension nouvelle. Le terme Budo hérité du chinois désignait jusque là l'art d'administrer les affaires civiles et militaires. Cette notion s'enrichit alors d'une dimension éthique et le Budo signifia dès lors l'obéissance au code et l'acquisition des vertus en vigueur dans la classe des Bushi. Cette modification n`est pas étrangère à l'influence de plusieurs courants religieux.
En effet, les Samouraïs ont puisé dans différentes éthiques religieuses les principes susceptibles de les aider à fortifier leur âme pour compléter les directives essentiellement pratiques et tactiques de leur Code.
Le Boudhisme a donné au Samouraï un idéal de sérénité, de confiance dans le destin et de tranquille acceptation de l'inévitable. Il lui a appris par dessus tout à dédaigner la mort et à ne pas la craindre. Il y a puisé la force nécessaire pour transcender la vie et la mort. Rien n`illustre mieux ce sentiment que la comparaison que les Samourais aimaient à faire:
‘pareil à la fleur du cerisier, prêt à mourir au premier souffle de la brise matinale’, c'est à dire en pleine jeunesse et sans regret.
Le Shintoisme a exalté les vertus "viriles" de loyauté et de courage destinées à les aider sur les champs de bataille. Avant le 17e siècle, il n’y eut jamais de code écrit qui définît clairement les obligations des Samourais. En 1615, parut le BUKE-SHO HATTO, écrit par le moine Zen Suden à la demande de Ieyasu. Cet écrit succinct était destiné aux familles martiales et comportait treize préceptes qui définissaient le comportement d'un Samourai. Il débutait ainsi : « Les arts littéraires, la pratique des armes, de l'Arc, de la chevalerie sont les études que les Samourais doivent suivre régulièrement ». Un peu plus tard, en 1686, un certain Daideti Yuzan écrivit le BUDO SHIN SHU et insistait plus sur l'éthique que sur les connaissances.
Ce n’est qu'en 1716 que parurent les onze volumes du HAGAKURE. Ce recueil allait devenir un des plus célèbres ouvrages japonais. Il exalte la VOIE du Samouraï. Il est composé de maximes philosophiques.
L’écrivain japonais contemporain Yukio Mishima considérait le HAGAKURE comme "le seul et unique livre" . « J'ai commencé à le lire durant la guerre et je l'avais toujours près de moi ou sur ma table de travail, et s'il y a un ouvrage auquel je me suis constamment référé, vingt années durant, en relisant un passage ça et là, sans manquer de me sen tir ému, c'est le HAGAKURÉ » disait-il. « HAGAKURE » signifie "caché derrière les feuillages". Le titre de l'œuvre est "Recueil de paroles de Maître HAGAKURE". Ce titre est, selon certains, à rapprocher du fait que l'auteur s'était retiré dans une hutte, et selon d'autres, rappelle que l'auteur appartenait au clan du château de Saga qui était connu pour être dissimulé derrière un rideau touffu d'arbres et de feuillages.
Le château de Saga était habité par le clan des Nabeshima auquel appartenait l'auteur Jochô Yamamoto. Quelques rappels historiques sont nécessaires pour comprendre l'ouvrage. Certains noms reviennent régulièrement dans les maximes. Nabeshima Naoshige (1538 - 1618) fut le fondateur du clan. Il était chef Samouraï du Seigneur Ryuzoji Takanobu, et quand ce dernier mourut, il prit la direction du domaine situé dans l'île Kyushu (extrémité S.O. du Japon). Il prit une part active dans tous les évènements de son époque.
C'était un homme de caractère. Ainsi, à la bataille de Seki Gamaga en 1600 il se rallia aux Toyotomi - les vaincus - après avoir été aux côtés du clan Tokugawa. Son clan eut, à la suite de ce revirement, des rapports tendus avec les Tokugawa pendant trois générations.
Nabeshima Katsushige (1580 - 1657) était le fils du précédent. En 1597, il participa avec son père à la Campagne de Corée, il n `était âgé que de 17 ans. Il est connu pour avoir eu le même caractère trempé. Lors de la rebellion de Shimabara (1637 - 1638), il fut sanctionné pour avoir entraîné à sa suite, trente quatre mille hommes à l'assaut du château de Hara sans en avoir reçu l'ordre. Le HAGAKURE lui a été dédié.
Nabeshima Mitsushige (1632 - 1700), petit-fils du précédent, fut élevé au rang de Seigneur de Saga. La période des guerres civiles était révolue, c'était un homme cultivé qui avait été élevé à Edo (Capitale où résidait le Shogun) et un administrateur plus qu’un guerrier, fonction qui n`avait plus guère d'utilité à cette époque de paix.
L’auteur du HAGAKURE, YAMAMOTO, vint au monde alors que Nabeshima Mitsushige était au pouvoir depuis deux ans. A neuf ans, il devint page du Seigneur. A vingt ans, il rencontra le moine Zen Tannen, supérieur du temple des Nabeshima. Ce moine intègre - qui démissionna de son poste en signe de désaccord lors de la condamnation à mort d'un moine - marqua profondément YAMAMOTO. Il fit ensuite la connaissance d'un second personnage, Ishida Ittei, lettré confucéen, conseiller des Nabeshima qui fut également une rencontre importante dans sa vie. Ishida Ittei était aussi un homme de grand courage, il fut exilé plus de huit ans pour s `être opposé à une décision du Daimyo.
A la mort de son seigneur Nabeshima Mitsushige (1700), YAMAMOTO ne put faire Seppuku pour le suivre dans la mort. Un décret des Tokugawa venait d'en interdire la pratique, suivant en ceci l'interdiction faite par Mitsushige Nabeshima lui-même.
Il reçut alors l'autorisation de devenir moine et de se retirer du monde. Après s'être rasé la tête, à I `âge de 42 ans, il alla vivre une vie semi-recluse dans une hutte en un lieu appelé Kurotsuchibaru à 12 km au nord du château de Saga.
Dix ans plus tard, il reçut la visite d'un jeune scribe. Tashiro Tsuramoto, sept années durant (1710 - 1717), transcrivit tous les entretiens qu’il eut avec YAMAMOTO. Malgré l'interdiction de YAMAMOTO, Tsuramoto recopia et distribua ses écrits aux Samourais de Saga sous le titre : Analectes de Nabeshima.
Pendant plus de cent cinquante ans, ce texte resta secret et devint pour les Daimyo et tous les Samourais du clan Nabeshima un manuel d'instruction morale. Ils ne voulaient pas le divulguer et ce n`est qu`à la restauration Meiji (1868) qu'il fut connu du public.
Il existe, à l'heure actuelle, deux traductions en langue anglaise The way of Samouraï de Y. Mishima, (L'auteur en traduit une centaine de maximes), et The book of the Samouraï HA GAKURÉ de William Scott Wilson, universitaire américain.
C'est un choix délibéré qui m'a fait ne retenir des onze volumes originaux du Hagakuré, pour la traduction française que je vous présente, que les paragraphes traitant explicitement du "devoir du samouraï".
Le HAGAKURE doit son originalité au fait que c'est une retranscription de maximes transmises oralement par un moine retiré du monde.