1940 - Bleu de Ciel - Wassily Kandinsky
Faire un sort ici au premier tableau dont l'impression m'ait appartenu : "Bleu de ciel" De Kandinski.
Ce tableau, c'est le premier dont je me sois offert la reproduction, le jour où j'ai pu mettre suffisamment d'argent dans une belle repro. Probablement parce que c'est le premier qui m'ait parlé directement, et dont j'ai eu l'impression qu'il m'émeuvait non pour des raisons qui seraient liées à la culture dans laquelle j'ai baigné étant enfant, mais parce qu'il a interpelé en moi un goût personnel, un choix qui n'appartenait qu'à moi.
Il n'y avait pas de repro de Kandinski à la maison, je n'en avais même jamais entendu parler quand je suis entrée en cours d'arts plastiques en sixième, où une vieille affiche reproduisant ce tableau était affichée sur une armoire, en fond de salle.
Je mentirais si je vous disais que j'ai passé des heures à rêvasser en regardant cette peinture, à me poser des questions sur l'abstraction. Les coups de foudre, en moi en tout cas, ne produisent pas de rêvasseries à n'en plus finir ni forcément de recherches intellectuelles, ils s'imposent directement et violemment comme une évidence.
C'était évident, ce n'était pas abstrait, c'était un fond sous-marin baigné de créatures dont je n'aurais jamais l'identité, mais que le peintre avait vues, rêvées, et dont il aurait voulu rendre le caractère liquide en faisant se fondre les couleurs les unes dans les autres, dans une sorte d'abîme de douceur, où aucun contour n'est vraiment tranchant.
Tout m'a toujours semblé poreux chez Kandinski. Il fait des formes géométriques, certes, elles ont l'air délimitées. Mais les couleurs brisent les lignes et invitent au voyage chromatique. On en retient facilement que c'est le peintre de la géométrie, et pourtant l'approche que l'on peut avoir de ses toiles n'est pas géométrique car notre oeil y discerne ce qu'il veut bien y voir, il redécoupe l'espace de la toile pour former, un peu comme avec les nuages, des formes qui appartiennent tantôt à notre imaginaire culturel, tantôt, j'aime à le croire, à notre imaginaire personnel. Kandinski, de mon point de vue, invite à l'intime, au retour sur soi.
On m'a beaucoup envoyé de cartes postales représentant des oeuvres de ce peintre, j'ai longtemps eu une repro d'une autre de ses oeuvres dans ma chambre avant d'aller m'acheter celle de cette toile, et quand je suis enfin allée la commander, la vendeuse a ri quand je lui ai décrit mon "paysage sous-marin de Kandinski", mais elle a su tout de suite de quelle toile je parlais, étonnée que j'aie pu y voir autre chose que le ciel (elle y voyait des cerfs volants, ce qui est tout aussi cohérent).
J'ai passé dix ans à attendre de pouvoir me l'offrir, car je voulais le faire seule. Dix ans à ne surtout rien lire sur Kandinski, sur son oeuvre, ce qu'il en a dit, ce qu'on en dit en général. J'ai enfin commencé la lecture (non achevée car ce n'est pas aussi passionnant que je l'escomptais) de "Du spirituel dans l'art", mais avec des pincettes, pour éviter de perdre tout à fait le goût que j'ai de ce peintre. J'ai parfois l'impression qu'en ayant un savoir précis et non farfelu sur lui, ce que j'aime s'en évaporerait. Le processus a déjà commencé, mais j'essaie de garder, sinon l'amour de cette toile, du moins une forme de respect pour ce premier amour pictural, qui m'a offert une porte d'entrée vers l'art abstrait.
Je sais bien que c'est facile de dire que l'art abstrait on peut l'aimer car il permet d'imaginer tout et n'importe quoi... Ce n'est pas ce que je pense, mais je sais pour l'avoir vécu souvent depuis cette toile, que l'on peut aimer l'art abstrait sincèrement, juste pour une émotion esthétique personnelle, et qu'il peut nous toucher sans nécessaire intellectualisation. J'y tiens, beaucoup, comme réponse à tous ceux qui pensent que c'est "facile" et "pas beau".
Le premier Kandinski, en vrai, ce fut à Beaubourg, mais je ne peux vous en parler, cela serait indécent.
Il me reste à voir cette toile en vrai, un jour, de ces choses que l'on sait que l'on fera, sans forcément se presser, comme on va à un rendez-vous fixé avec soi-même de longue date. Il n'a pas été nécessaire de s'imaginer une rencontre, elle est là, c'est une évidence, elle et moi, on a rendez-vous, un jour, dans la solitude.
J'espère ne pas vous avoir pondu un pavé soporifique, lol, je l'ai fait un peu pour moi, mais je reprendrai la chose un de ces jours, c'est un premier jet