Je ne connaissais pas... un 'tit aperçu :
Dernière édition par le Mer 18 Jan - 3:06, édité 1 fois
es sculptures de Ron Mueck, présentées à la Fondation Cartier, sont d'un réalisme poussé jusqu'à l'obsession maniaque des détails. Elles n'ont qu'un sujet, le corps humain, masculin ou féminin, jeune ou vieux, nu ou habillé. Elles sont démesurément grandes ou douloureusement réduites. Toutes suggèrent des situations précises, qui appellent descriptions et narrations. Ces situations sont généralement désagréables et l'espèce humaine y est représentée dans des postures sans grâce. Il y a le Sauvage, nu, assis sur une chaise et qui se recule de peur ou de dégoût. Il y a la femme dans son lit dont on ne peut manquer de supposer qu'elle est souffrante tant son visage paraît mélancolique et pâle. Il y a les deux petites vieilles baudelairiennes qui causent et l'homme et la femme allongés l'un contre l'autre, à moitié nus. On les voit de haut sur leur socle rond, deux petits animaux figés par galvanoplastie ou deux petites momies de cire.
Elles ne sont pas de cire, mais de silicone teintée d'une couleur de chairs malades et complété par de faux poils et de faux cheveux. Grains de beauté, rides, plis, rougeurs, rien ne manque. Les figures sont habillées de vêtements taillés et cousus à leur échelle et exactement imités, manteaux, culottes et tee-shirts. Cette perfection s'explique par l'itinéraire de Mueck. Né en Australie en 1958, il a d'abord créé des marionnettes pour la télévision, dans son pays natal puis à Los Angeles et enfin à Londres où il collabore au Muppet Show. Reconnu pour l'excellence de ses fabrications et sa maîtrise de la fibre de verre, il fonde en 1990 une entreprise de production de mannequins pour la publicité. Il se situe alors sans équivoque du côté de l'industrie du spectacle.
RÉALISME SARCASTIQUE
Le basculement n'en est que plus intéressant. A partir de 1996, Mueck commence à employer son savoir-faire à la fabrication de mannequins qui ne peuvent servir à la publicité ni au divertissement. Il y est incité par la peintre britannique Paula Rego, elle-même adepte d'un réalisme sarcastique — et scandaleusement méconnue en France — et par Charles Saatchi, collectionneur et "artist maker" majeur de l'art actuel. En 1997, il fait participer Mueck à l'exposition "Sensation" à la Royal Academy of Arts en présentant son Père mort, gisant au plus près de sa vérité morbide. Depuis, la notoriété de Mueck va croissant, de la Biennale de Venise en 2001 à la Fondation Cartier aujourd'hui. Jean Clair a retenu un de ses personnages pour son exposition "Mélancolie", actuellement au Grand Palais.
Reste à comprendre ce succès. L'habileté est une première explication. Ces sculptures hyperréalistes d'une facture impeccable sont, du point de vue de l'illusion, des chefs-d'oeuvre de technicité, comme il y a a quarante ans les mannequins pop de Duane Hanson et de George Segal.
Mais ces derniers ne manifestaient pas le même goût pour le maladif et le morbide, éventuellement aggravé d'obscénité. L'humanité selon Mueck est au moins mélancolique, au pire accablée. Elle exhibe des anatomies flasques ou obèses. Ce serait peu dire que la chair est triste et le malaise assuré. Ainsi retrouve-t-on dans cet art du dégoût les deux composantes majeures de celui de Lucian Freud, particulièrement dans ses toiles récentes : la figuration minutieuse et l'obsession de la déchéance physique. On les trouvait dans les oeuvres de Stanley Spencer dans les années 1930, comme, aujourd'hui, dans la peinture de Jenny Saville, autre révélation de "Sensation". On en conclurait sans doute à la force d'un tropisme masochiste dans l'art britannique si Dix et Grosz n'avaient pas été aussi sévères avec leurs semblables.
La singularité de Mueck tient donc moins à ses sujets qu'à sa manière de s'en emparer — et surtout à la question de l'échelle. Il joue de la tension qui s'établit entre la vérité des textures et des détails et l'anormalité des dimensions. Le spectateur évolue dans un monde de géants et de nains, sans rencontrer jamais une figure à taille humaine. Les plus inquiétants sont sans doute les anatomies réduites au dixième de leurs proportions. Elles font songer aux foetus et aux cadavres que l'on conservait jadis dans les cabinets de curiosité et les musées médicaux ; ou, dans un autre registre, aux têtes réduites d'Amérique du Sud. L'efficacité de Mueck tient à ce paradoxe : sous leur apparence de propreté et de précision cliniques, ses oeuvres dissimulent savamment une sauvagerie féroce à laquelle il est impossible d'échapper. D'autant plus impossible que cette dissimulation est absolument caractéristique de l'époque actuelle.
Des personnages à l’échelle d’un conte philosophique :
Mais d’autres créatures, déjà au XVIIIe, Micromégas et Saturnien, étaient les protagonistes d’un conte philosophique dans lequel Voltaire humanisait ces deux individus et animalisait les Terriens, dénonçant ainsi leur suffisance intellectuelle. Gigantisme et nanisme étaient ainsi applicables tant au physique qu’à la morale… Petits et grands, incarnation du principe même de la relativité, aux personnages de fiction de Voltaire, succèdent alors, au moins sur le plan de l’échelle, les sculptures de Ron Mueck : tantôt géants, tantôt lilliputiens, "incarnation merveilleuse" de ce principe car, comme chez Gulliver, ils ne sont petits ou grands que par comparaison, petits par rapports aux plus grands, et grands par rapport aux plus petits… Les oeuvres entretiennent entre elles, comme caractéristique première du travail de Mueck, un dialogue dans leur rapport mutuel entre l’échelle, et artifice de la taille : ‘Wild Man’ (285 x 65 x 108 cm), ‘Spooning Couple’ (14 x 65 x 35 cm), Mask III (155 x 132 x 113 cm), ‘Two Women (85 x 48 x 38 cm), ‘In Bed’ (162 x 650 x 395 cm).
La relation corps espace :
Investir l’espace : le posséder et le déposséder de son propre volume. Les sculptures le réinterprètent, et inversement, ce même volume les réinterprète pour leur donner sens en son sein. La fascination pour les réalisations de Mueck peut d’abord tenir en partie à ceci - outre ce qui est propre à la sculpture figurative, mais qui ici, dans le rendu des carnations, le sens du détail, et un savoir faire unique, dépasse ce seul cadre : les visiteurs qu’ils soient grands ou petits, seront de toute façon toujours plus petits ou plus grands que ces sculptures qui sont de nature à rassembler autour d’elles, autour de leur inquiétante étrangeté constituant un autre reflet de nous-mêmes, de notre humanité, dont l’apparence formelle est bien celle d’un hominidé mais dont l’anthropogenèse vient perturber la taille que l’on attribue au monde de l’enfance ou de l’adulte. Ici, indistinctement, ces adultes sont petits ou grands et n’ont pas d’état intermédiaire. Une croissance aux antipodes donc. En tous points les êtres de Mueck ont les caractéristiques d’un hominidé : membres, peau, pores, pilosité, traits, rides, ridules et expressions, atteignent un degré de ressemblance troublant avec l’apparence humaine, pour toucher à l’humain, devenir un apparent humain, un corps (seulement, toujours, mais ô combien) imité et non reproduit. Il en est ainsi de ces sculptures contemporaines qui se détachent d’un corps organe obstacle, tel qu’on le connaît dans la statuaire en rond de bosse, pour mieux coller à notre enveloppe charnelle, sans adhérer exactement, dans le jeu des proportions et des postures, à notre modèle corporel.
L’histoire toute personnelle de ces sculptures :
Chez Mueck il y a ce rapport tangible et sensible entre ses réalisations où la vie apparente est figée - mais organiquement absente - et l’histoire qu’elles enferment (et révèlent donc en partie). C’est au titre des oeuvres d’éclairer en partie cette dernière : ‘Wild Man’, ‘Spooning Couple’, ‘Two Women’, ‘In Bed’… lèvent un peu le voile sur l’intimité de ces personnages, pour laisser à la subjectivité du visiteur en reconstituer l’histoire personnelle suggérée par leur univers. La présence ou l’absence de vêtement, un drap, un lit… entretiennent un rapport ténu à la nudité. Interrogeant ces sculptures (que se disent les deux vieilles ? Pourquoi le regard hagard du géant ?), on en vient peut-être à s’interroger fondamentalement sur les âges de la vie, la solitude, et de façon nouvelle le couple dans ‘Spooning Couple’. Et alors, si l’apparence physique de ces personnages causait initialement un effet d’inquiétante étrangeté avec la nôtre, un effet de ressemblance distant induit par le rapport curieux, opacité par la taille, c’est finalement leur expression qui pourrait bien les rapprocher de nous. Au-delà de l’apparence, c’est bien l’être (véritablement), l’intimité mise à nue, qui rapproche personnages et visiteur spectateurs, pour former l’expérience sensible d’un entre-nous, d’une expérience commune.
De l’intimité et de l’espace de la libre interprétation réservée et façonnée par l’artiste :
Cette expérience c’est l’histoire qu’à bien voulu leur conférer l’artiste (comme le dramaturge ou le romancier le feraient dans une autre forme) et dont le secret de l’étonnement que nous pouvons ressentir à leur égard pourrait bien résulter de cet espace intime que l’artiste s’est réservé, et dont le tout (l’oeuvre) ne dit qu’une partie de ce qu’il aura bien voulu laisser transparaître, un peu comme la parole duplice d’un oracle. Renvoyant alors à notre propre incapacité à dire exactement ce que ressentent ces créatures, et dont notre propre étonnement résulte de ces figures du possible : espace que l’artiste nous a réservé, et dont le charme qui l’anime réside dans la libre interprétation qu’il nous est laissée de formuler. Dès lors, l’originalité de Mueck, réside moins dans le sujet, et son rapport à la mimesis qui anime le concept même de représentation, que dans son traitement psychologique, dont l’ostensible dissimulation (à envisager également comme une rhétorique plastique d’un discours sur le dit de la dissimulation et de la simulation) révèle et cache à la fois tout un univers personnel et psychologique. C’est ainsi que se poursuit l’analyse de ces sculptures dans le cadre de la visite de l’exposition : s’opère chez le spectateur, après être resté interdit devant leur plastique, un déplacement, un transfert de son attention, allant du physique à l’intimité de ces personnages. Ce mouvement, lieu d’un inter/dit, l’emporte vers une histoire toute personnelle faisant presque oublier, sans pouvoir toutefois s’en détacher, l’objet même de sa médiation : l’apparence de la vérité, la vérité apparente, l’imitation, car ici dans l’intimité plus rien n’est vrai ou faux, puisqu’elle est le lieu de l’expérience sensible et du partage de l’identité.
L’expression qui figure sur la surface des sculptures semble dédire la seule apparence formelle pour renvoyer à autre chose de plus profond, à cet espace évoqué précédemment, lieu dédié à l’histoire personnelle que leur confère Mueck, et dont ces corps de fibre de verre ou de silicone abritent une rare forme de violence. Cette violence là, coïncide avec leur intimité et leur propre appréhension face à la vie (et à la mort) faisant écho aux oeuvres de Lucian Freud par exemple et à leur représentation d’un corps en dégénérescence. Sans doute le registre de Mueck a-t-il quelque chose de pneumatique : insufflant une apparence de vitalité à ses sculptures… afin de mieux les en déposséder, comme saisies dans l’instant, dans le présent de l’appréhension et l’imminence d’une fatalité à venir. Et si Mueck façonne avec tant d’habileté ses sculptures faites de matériaux composites, sa touche a quelque chose qui va plus loin dans l’espace infrangible de la création : c’est l’imagination et la capacité à façonner, à composer à la fois des histoires et en partie notre propre interprétation, pour à notre tour nous toucher et nous fasciner.
roms a écrit:
j'aimerais etre face à ces ouevres pour connaitre ma reaction
(pas tres à l'aise je pense lol)
extrait de Art Now 2 (Taschen) ecrit par Uta Grosenick a écrit:Les figures hyperréalistes de Ron Mueck se caractérisent par une précision de détails stupéfiante qui sonde les limites de la sculpture comme moyen d'appropriation du corps humain. Mueck s'est d'abord fait connaitre par une sculpture fascinante de littéralité : dans "Dead Dad" (1996/97), une reproduction extraordinairement réaliste du corps nu de son père mort ramené à un format miniaturisé d'à peine un mètre de long, il ne sembalit manquer aucun poil ni aucune ride. Pour L'autoportrait "Mask II" (2001/02), la réduction du propre visage de l'artiste à son enveloppe vide, avec naissance du cuir chevelu, couché sur le coté et plongé dans le sommeil, semblait se suffire à elle-meme. L'experience de Mueck dans sa réalisation professionelle de personnages de films d'animation et d'effets spéciaux pour le cinéma explique la précision des détails de ses sculptures en fibre de verre et en silicone. Mais l'intériorité et l'état d'ame de ses figures reçoivent la meme attention que la perfection exterieure de l'execution. C'est à cette double focalisation que se doit aussi la polysémie psychologique de la représentation du détournement des rapports de grandeur et de l'installation in situ. La représentation d'une jeune fille dégingandée en maillot de bain ("Ghost", 1998), un peu plus grande que nature, qui s'appuie contre le mur, exprime l'embarras d'une aolescente qui se sentirait mal à l'aise dans n'importe quel corps. Pour la Biennale de Venise 2001, Mueck a présenté une figure de presque cinq metre de haut, un garçon ("Boy",1999) accroupi dans la zone d'entrée de l'exposition. Les bras croisés devant son visage ne permettaient pas de reconnaitre son expression au premier coup d'oeil: à la fois menaçant et désireux de protection nonobstant sa monumentalité, il semblait compter sur une possibilité de rester inaperçu dans sa cachette.
Ron Mueck a écrit:"D'un coté, mes travaux cherchent à créer une présence plausible, mais de l'autre, ils doivent fonctionner en tant qu'objects."
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