"Bande Annonce"
Synopsis:
Bruno D., cadre très supérieur dans une usine de papier, après quinze ans de bons et loyaux services à la complète satisfaction de ses employeurs et de leurs actionnaires, est un jour congédié avec quelques centaines de ses collègues pour cause de redéploiement économique autrement dit délocalisation. Bruno sur le coup ne s’inquiète pas. A son niveau de qualification il est persuadé de pouvoir retrouver un poste équivalent, il est encore jeune, la quarantaine.
Trois ans après, toujours sans travail, il réalise qu’il est engagé, à son corps défendant, dans une guerre d’usure. Il est devenu simple soldat avec pour seule mission se sauver luimême en préservant son confort et celui de sa femme et de ses enfants. Il découvrira bientôt que son équilibre, la cohésion de son couple, l’avenir de ces mêmes enfants dépendent du succès de ce combat.
L'interview de Costa Gavras:
Au regard de votre filmographie, un bon sujet pour Costa Gavras, c'est quoi ?
Vous savez, c'est un vieux problème. Je crois qu'on ne saura jamais. En tout cas, au départ, c'est un sujet qui vous passionne. Enfin, un sujet qui me dit que je vais pouvoir en faire un beau spectacle et, en même temps, dire quelque chose sur la société. Après, le problème, c'est que l'on a toujours envie de dire beaucoup de choses. Il faut savoir trier.
C'est l'aspect social du roman de Westlake qui vous a tout de suite envie de l'adapter pour le cinéma ?
C'était pour moi le plus intéressant. Le côté serial killer ne m'intéressait pas. Enfin... Ce qui m'intéressait, c'était le côté serial killer social, pas l'histoire du fou qui tue des gens pour le simple plaisir. Mais l'environnement du roman, le pourquoi du passage à l'acte, ça, c'était intéressant... J'ai découvert le roman de Westlake en anglais, à sa sortie, il y a cinq ou six ans. J'ai immédiatement demandé les droits. C'est là que j'ai appris qu'un studio américain avait déjà pris une option pour son adaptation. Le studio n'était cependant pas vraiment convaincu par l'histoire. J'ai attendu. Entre-temps, j'ai réalisé « Amen ». Juste après la sortie de « Amen », j'ai relancé l'affaire car j'avais appris, par la suite, que les Américains avaient abandonné l'idée d'en faire un film. Il y avait d'ailleurs déjà un metteur en scène sur le coup ! J'ai rappelé Westlake. Je lui ai demandé s'il voulait vendre ses droits à un Européen. Il a été tout de suite enthousiasmé.
C'est la troisième adaptation d'un roman de Westlake en France. Comment expliquez-vous cet engouement ?
Il n'y a pas qu'en France où l'on a cherché à adapter ses oeuvres. Il y a eu beaucoup de tentatives du côté d'Hollywood, aussi. Mais les projets n'ont pas abouti... En général, je trouve que les romans de Westlake ont de très bons départs d'intrigues, mais ses développements ne sont pas véritablement à la hauteur. Pour celui-ci, je trouvais l'ensemble parfait, même si la fin ne me plaisait pas du tout... Westlake sait très bien qu'en France, on aime beaucoup ses livres.
Quelle était la fin de son livre ?
Eh bien, le type gagne son poste, et il devient chef de l'usine.
C'est donc la même fin que la vôtre ?
Non, pas vraiment, puisque j'ai rajouté le paramètre de la prédatrice. Mon point de vue change quand même l'ensemble de la chose... Dans le livre, l'intrigue contait basiquement l'histoire d'un type qui tente un coup et qui le réussit. Moi, avec l'aide de Jean-Claude Grumberg, j'ai préféré considérer que c'était l'histoire d'un type en guerre, l'histoire d'un type qui part en guerre comme son père a pu le faire. Il y a des années de cela, son père était parti en guerre pour le bien de son pays ; lui, il la fera pour le bien de sa famille. Mais quand on fait la guerre comme ça, en solitaire, fatalement, à la fin, on se retrouve devant quelqu'un qui la poursuit à votre place. C'est l'éternelle question du plus fort. Lui est un prédateur, mais il n'est pas le seul prédateur en ce monde ; et il a de grandes chances de rencontrer quelque de beaucoup plus fort que lui.
En quoi les mécaniques du thriller permettent-elles d'aborder des questions sociales ?
Le thriller ou le polar, qu'il soit français ou américain d'ailleurs, est un formidable prolongement de la société, bien plus que les vraies histoires, parce qu'il permet une liberté extraordinaire. On peut utiliser les personnages comme on veut. Il n'y a pas de contraintes, ce qui est loin d'être le cas dans un film dépendant d'une réalité donnée. On fait de la fiction ! Ce qui m'intéressait dans le roman, c'était de constater que le libéralisme effréné, et presque sans lois, est devenu une généralité. Il y a une quinzaine d'années, il ne touchait peut-être que les États-Unis ; mais aujourd'hui, c'est devenu l'affaire des Européens aussi. Pour simplifier mon propos, je dirai qu'on met en avant l'économie au détriment de l'homme.
Comment expliquez-vous que ce phénomène social ne soit pas exploité par Hollywood ?
Depuis plusieurs années, le cinéma américain est devenu un cinéma de divertissement, uniquement. Les studios d'Hollywood théorisent de plus en plus cette idée, en disant que le cinéma n'est fait que pour le loisir. Or, le cinéma américain - du muet jusqu'aux années soixante-dix et même quatre-vingts - a toujours traité de sujets sociaux, à sa manière, bien sûr. Mais aujourd'hui, cela devient de plus en plus rare de voir des projets comme celui-ci. Je crois que c'est à cause de la disparition des grands producteurs. Le cinéma américain est entre les mains de financiers qui ne font que cloner ce qui a déjà été fait.
Il n'y a plus d'auteurs ? C'est ce que vous voulez dire ?
Non, il y a des auteurs ; mais le problème n'est pas celui-ci. Le problème, c'est qu'ils n'ont pas la possibilité de s'exprimer. Que ce soient des auteurs, des metteurs en scène ou des comédiens ! Il y a de formidables scénaristes à Hollywood, partout en Amérique. Mais les grandes compagnies ne s'intéressent pas à eux.
Ça veut dire que vous ne pourriez plus tourner un film américain aujourd'hui ?
Vous savez, moi, je n'ai jamais couru après le cinéma américain. C'est eux qui sont venus me chercher. Je ne voudrais pas ramener tout à moi, mais... Pour beaucoup, il faut bien vivre, il faut bien manger. Ils tournent donc des films qui trouveront des financements et un distributeur !
Pour en revenir au « Couperet » : sans José Garcia, le film existerait-il ?
Ça aurait été difficile... J'ai pensé à beaucoup d'acteurs pour le rôle. Mais, dès le début, je pensais qu'il serait l'acteur idéal... José est Monsieur Tout-le-monde ! En plus, il possède une certaine sympathie auprès du public français, ce qui était important pour le personnage. Dès les premières ébauches du scénario, Jean-Claude et moi nous sommes dit qu'il fallait que le spectateur puisse s'identifier au personnage, qu'il l'aime. Qu'il l'aime jusqu'au moment où il se dise : « Mais qu'est-ce que j'ai de commun avec ce type qui commet des crimes ? » Ça, c'était la ligne directrice. Je souhaitais vraiment que le spectateur soit bousculé dans ses sentiments envers le personnage : on rit, on l'aime, et puis tout d'un coup, tout bascule. Je voulais absolument utiliser ces deux facettes. Pour moi, José Garcia possédait cette ambivalence. Tout le problème a été de doser cette ambivalence, car il n'était pas question de faire seulement une comédie, ou de faire uniquement un film noir.
L'histoire est immorale ?
Absolument, c'est un film immoral... Quant à la morale, c'est au spectateur de se la construire lui-même. Qu'est-ce qui est moral ? Qu'est-ce qui est immoral ? Telle est la question !
Pensez-vous que votre personnage soit fou ?
Non, absolument pas. Il est en guerre ! Alors la question serait de savoir si on est un fou quand on part en guerre. Moi, je n'ai pas de réponse là-dessus. Enfin, j'en ai une, mais je me la garde.
Vous disiez tout à l'heure que votre personnage partait en guerre pour protéger sa famille. À l'inverse, ne part-il pas en guerre pour sauver son statut familial ?
Pour avoir fait beaucoup de recherches sur le sujet, je pense que lorsqu'on se retrouve au chômage durant une longue période, juste après avoir eu un poste à responsabilités, un salaire important, et avoir été considéré dans la société, dans son environnement, on perd très vite l'estime de soi-même, et l'estime des autres. Son parcours n'est pas qu'égoïste, mais il a aussi la volonté de sauver ce qu'il a créé. Sa création, en dehors de l'usine, c'est quoi ? C'est sa famille, c'est sa belle maison, etc.
C'est un film sur le paraître ?
J'espère que les gens pensent plus à l'être qu'au paraître.
Comment faut-il interpréter toutes les publicités que l'on voit dans le film ?
C'est lié au personnage. Je ne l'ai pas mises comme ça pour faire un traité anti-publicité. Le personnage, comme la plupart des gens, est entouré par ces publicités qui lui proposent de très belles choses, qui l'aguichent. Mais lui, il ne peut plus accéder à ce qui s'affiche. C'est devenu impossible parce qu'il n'a plus les moyens. C'est une grande frustration. Cela participe aussi à la perte de son estime...