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    Frida la brune...

    Mara
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    Message par Mara Ven 13 Jan - 15:39

    Frida la brune... Kahlo28

    hum, hum...
    Prom', j'ai un petit problème...
    Je travaille actuellement sur l'autobiographie avec mes troisième, et je voudrais faire avec eux une lecture de l'image sur un autoportrait.
    si tu passes dans le coin et que tu as cinq minutes, j'ai deux questions pour toi (les autres aussi, si z'avez des idées, vous privez pas hein!!!) :

    - aurais -tu un conseil, un titre d'oeuvre qui te paraitrait majeure, fondatrice, ou "à ne pas rater" sur l'autoportrait en peinture ?

    - que penses-tu de ce tableau de la miss Frida ?
    Je comptais proposer celui-ci à mes élèves, vu qu'ils l'ont dans leur bouquin, ça me permettrait de m'assurer qu'ils puissent l'observer correctement .
    Mara
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    Message par Mara Ven 13 Jan - 15:53

    Il me semble assez simple à étudier, je comptais en proposer l'étude à partir de la composition :

    - deux parties distinctes (gauche/droite) sur un axe de symétrie qui est ici matérialisé par l'autoportrait de Frida, dont la figure frappe au premier abord celui qui l'observe, avant que son regard ne puise dans les détails.

    - ces deux parties étant à étudier dans le détail, puisqu'il s'agit d'une frontière (cf.le titre) entre les USA et le Mexique. Là je relèverais qques symboles de ces deux pays, ceux qu'elle a choisi de montrer.

    - puis essayer de voir en quoi la figure du peintre ne présente pas son autoportrait uniquement dans la figure du peintre telle qu'elle est représentée de façon "corporelle", mais également symbolique puisque le paysage se fait autoportrait (les plantes, dont on voit les racines cf. racine de la peintre en question)
    Elle représente à la fois une frontière et elle se matérialise elle -même comme étant à la frontière de deux culture, de deux terres.

    - en quoi les objets qu'elle tient comme si elle les revendiquait peuvent inviter à lire les objets qui sont autour d'elle comme autant de revendication, invitant à lire le paysage aussi, comme faisant partie intégrante de l'autoportrait.

    - la dénonciation, voire la critique d'un mode de vie qui semble filtrer dans cette toile.
    J'ai l'impression qu'elle critique les usa, tout en désignant son mode de vie comme étant une "civilisation", qui aurait remplacé les anciens totems, etc, pour s'en créer de nouveaux, fussent-ils ceux du progrès, fussent-ils masqués au premier abord.

    Ce sont, en gros et pour l'instant (mais j'ai encore pas trop bossé dessus (premier survol, je dirais) mes axes de lecture.

    Y a-t-il , pour toi, de gros contresens, ou des trucs à ne pas oublier de dire et de remarquer dans ce tableau, sur lesquels je n'aie pas encore cherché ? En gros, si tu pouvais m'indiquer des directions de recherche, s'il t'en vient, ça serait adorable.

    Je stoquerai ici des 'tites recherches sur Frida à mesure, un truc succint, comme d'hab', mais histoire de le partager un brin, même si ça va pas loin.

    et au fait... j'allais oublier ce par quoi j'aurais dû commencer...
    bise Prom', j'espère que tu vas bien. (?)
    Prométhée
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    Message par Prométhée Mar 17 Jan - 20:59

    Bonjour Mara , on fait aller merci et toi comment vas tu ?

    En ce qui concerne ton choix de l"autoportrait à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis" de Frida Kahlo, je pense qu'il est judicieux. En effet, comme tu l'as evoqué précedemment, il ne présente pas uniquement le portrait de l'artiste ou l'artiste, ce tableau est egalement constitué de nombreux symboles qui sont des points d'encrages qui facilitent l'élaboration d'une interpretation propre, et qui sont aussi les clefs figuratives de la connotation de cette oeuvre.
    En ce qui concerne ton interpretation elle est juste et coherente. Brievement: ce tableau ce compose de deux parties separées par un axe qui est symbolisé par Frida Kahlo et qui est appuiés par le mot "frontiere"du titre de l'oeuvre. Dans ce tableau, Frida Kahlo montre clairement ses idées ambivalentes. Vetue d'une elegante robe rose et tenant dans sa main le drapeau du Mexique, elle se tient comme une statue sur un socle devant un monde, son monde, divisé en deux, le monde mexicain plein d'histoire, déterminé par les forces de la nature et le cycle naturel de la vie, et le monde nord-américain mort dominé par la technique.
    Des que j'ai un peu plus de temps, je te ferais un résumé du contexte dans lequel cette oeuvre de Frida Kahlo a été realisé.
    Mara
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    Message par Mara Mar 17 Jan - 22:37

    Ca va bien Prom', je te remercie.

    Voilà quelques éléments de plus pour cette analyse. (en particulier, très intéressant l'image de la statue, j'avais pas réalisé.) ok-ok

    A vrai dire, je ne suis pas trop à l'aise avec les transistors qui sont branchés sur le socle en question. Si ce n'est l'image du branchement (qui est un pendant aux racines sur le côté gauche) ou de la modernité, je ne vois pas trop quelle interprétation leur donner.
    Si t'as une idée je suis preneuse.

    Merci pour tout en tous cas. Et contente de te croiser de nouveau dans le coin. J'espère que le boulot te laisse un peu de temps pour toi. à bientôt.
    Mara
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    Message par Mara Mar 17 Jan - 22:47

    Une petite biographie succinte pour agrémenter ce topic :

    Frida Kahlo était une peintre mexicaine mondialement connue avec son mari Diego Rivera. Née en 1907, elle joue un rôle important pour le mouvement artistique mexicain de l'époque.

    Elle décide dès son jeune âge, qu'elle ne veut pas suivre le même parcours que les autres femmes mexicaines. Elle a un désir de voyage, d'étudier, elle veut la liberté et le plaisir.

    Dès l'âge de 8 ans, Frida est atteinte par la poliomyélite, ce qui lui déformera son pied droit et qui lui vaudra le surnom de "Frida l'estropiée".

    La talentueuse mexicaine est née d'un père d'origine Allemande (Wilhelm Kahlo) et d'une mère Mexicaine d'origine indienne (Mathilde Calderón), parents de bonne famille. Celle-ci entame de brillantes études et s'intéresse tout naturellement à la politique et cherche, comme nombre de personnes, à faire acquérir une âme mexicaine dans le pays nouvellement indépendant.

    A 15 ans, d'une volonté de fer, elle décide qu'elle porterait l'enfant de Diego Rivera, peintre alors très connu et âgé de 20 ans de plus...

    Mais à 18 ans, le 17 septembre 1925, revenant de son école d'art, son bus percute un tram, une barre de fer transperse Frida de l'abdomen au vagin. Ses jambes et surtout ses vertèbres, subiront les plus graves séquelles. Cet accident sera un grand tournant dans sa vie.

    Devant restée dans son lit, coincée dans son corset, elle fait installer un miroir au-dessus de son lit. C'est donc là qu'elle y peindra une grande partie de son oeuvre, les auto-portraits, parmi les 150 peintures qu'elle accomplira dans sa vie. Elle devra subir de très nombreuses interventions chirurgicales durant sa vie, et sera souvent restée couchée dans son lit d'hôpital.

    Dès 1928, celle-ci s'engage dans le parti communiste mexicain, dans un pays encore trouble et instable, pour aussi s'occuper de l'émancipation de la femme, où l'homme à toujours une position machiste.

    Dans cette même année, elle rencontre enfin Diego Rivera, ils tombent tout de suite amoureux, et se marient un an plus tard, un 21 août. Le couple s'installe dans un appartement, et en 1930, ils vont vivre à San Francisco, où Rivera reçoit plusieurs commandes. Après quelques allers-retours entre les Etats-Unis et le Mexique, et après que Frida ait subit deux avortements, les artistes rentrent à Mexico pour s'installer dans la banlieue San Angel, dans leur nouvelle maison. Entre temps, la mère de Frida meurt en 1932. Mais ensuite, dès 1934, elle subit un troisième avortement, et découvre quelques mois plus tard une liaison entre son mari et sa soeur, elle décide donc de s'isoler en s'installant dans un appartement pour quelques mois, elle aussi aura des liaisons extra-conjugales.

    En 1937, Diego réussi à accorder l'asile politique à Trotsky qui sera alors hébergé dans leur maison bleu de Coyoacán. Frida et Trotsky on eu une liaison que l'on dit passionnée, et celle-ci lui dédicace un tableau à l'occasion de son anniversaire, où elle se montre à son meilleur jour. André Breton et Jacqueline Lamba profitent de venir à Mexico pour rencontrer Trotsky, ils vont donc du même coup faire la connaissance du fameux couple mexicain. Trotsky sera assassiné deux ans plus tard à coup de pic à glace... (août 1940)

    En automne 1938, Frida Kahlo présente ses oeuvres, dans sa première exposition individuelle, dans la galerie Julien Levy à New-York, où elle y rencontre un franc succès.

    En 1939, elle se rend à Paris pour y exposer ses oeuvres à Renou & Colle en mars, elle y fera la rencontre de nombreux peintres surréalistes. Puis de retour à Mexico, elle s'installe chez son père, et divorce avec Diego.


    Puis elle part à San Francisco pour suivre un traitement médical. Elle se remarie un an plus tard avec le même homme, le 8 décembre de 1940.

    A la mort de son père, Frida s'installe avec Diego dans la "Maison bleue", et Diego utilise celle de San Angel comme atelier. Au fur et à mesure du temps, sa santé se dégrade, et ses douleurs au dos deviennent de plus en plus intolérables. Elle subit sept opérations successives de la colonne vertébrale, sa convalescence qui durera 9 mois, manquera de la rendre folle. Malgré son handicap, et son nouveau fauteuil roulant, elle continue de peindre et de militer, jusqu'à assister à sa tant désirée expositon individuelle dans son propre pays, malgré les conseils de son médecin. Elle meurt le 13 juillet 1954, et est incinérée, suite à sa volonté : " Même dans un cercueil, je ne veux plus jamais rester couchée ! ".

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    Message par Mara Mar 17 Jan - 23:05

    article du Monde diplomatique août 1998 :

    Impossible de dissocier le nom de Frida Kahlo de celui du peintre muraliste mexicain Diego Rivera. On connaît la vie orageuse de ce couple de légende, dans le Mexique de la première moitié du siècle. Tous deux ont participé à toutes les luttes politiques de l’entre-deux-guerres et des années 50.

    CE n’était pas pour en faire un compte rendu, mais par intérêt personnel que je m’apprêtais à aller voir l’exposition « Diego Rivera et Frida Kahlo » (1), et pour elle plus que pour lui. Pour étudier Diego Rivera il faut, en effet, traverser l’Atlantique et aller voir ses gigantesques fresques murales : il n’est pas transportable. Comparée à la sienne, l’oeuvre de Frida semble constituée de miniatures. L’Eléphant et le Papillon, tels furent leurs pseudonymes respectifs, même si Frida était appelée la Colombe par son père. A sa mort, il y a plus de quarante ans, elle laissa cent cinquante petits tableaux, dont un tiers qu’on range dans la catégorie des autoportraits.

    Frida Kahlo ! Comme tous les noms légendaires, on dirait que ce nom a été inventé de toutes pièces, alors qu’il n’en est rien. Déjà de son vivant, elle était une légende à Mexico et aussi - mais dans un cercle restreint d’artistes - à Paris. Aujourd’hui, elle constitue une légende universelle, dont le récit a maintes fois été fait, et fort bien, par elle-même, par Diego et, plus tard, par de nombreux autres témoins et biographes : la petite fille victime de la polio, la jeune fille à nouveau affreusement estropiée dans un accident d’autobus, la jeune femme qui découvre, grâce à Diego, la peinture et le communisme, leurs passions mutuelles, leur mariage, leur divorce, leur remariage, sa liaison avec Trotski, sa haine des gringos, l’amputation d’une jambe, son suicide probable pour échapper à la souffrance, sa beauté, sa sensualité, son humour, son sentiment de solitude.

    Il existe sur elle un excellent film mexicain réalisé par Paul Leduc, un beau roman de Le Clézio intitulé "Diego et Frida" (2), un passionnant essai de Carlos Fuentes en introduction à son Journal intime, sans oublier de nombreuses études d’historiens de l’art qui se sont attachés à situer son oeuvre par rapport à l’art populaire mexicain, au surréalisme, au communisme ou au féminisme. C’est pourquoi il ne me semblait pas nécessaire d’ajouter à tout ce qui a été écrit sur elle. D’autant moins que ses tableaux disent très bien ce qu’ils veulent dire, même s’ils le font de manière mystérieuse.

    Un sens aigu du toucher
    J’ALLAI donc à l’exposition pour voir, tout simplement. Or, à ma grande surprise, j’y ai fait une découverte toute simple, rendue possible parce que je contemplais, non des reproductions, mais les tableaux eux-mêmes ; une découverte si simple, si évidente, qu’elle semble aller de soi ; c’est peut-être pour cette raison que personne n’en a parlé. Voilà pourquoi il me faut prendre la plume.

    Seul un petit nombre des tableaux de Frida sont peints sur toile : la plupart le sont sur métal ou sur masonite, à la surface aussi lisse que celle du métal. Le grain de la toile avait beau être fin, il résistait à la vision de Frida et l’infléchissait, ce qui amenait l’artiste à donner trop de patte à ses touches et aux formes qu’elle peignait, à les rendre trop plastiques, trop publiques, trop épiques, c’est-à-dire trop semblables aux oeuvres de l’Eléphant (même si elles s’en distinguaient encore sensiblement). Pour préserver l’intégrité de sa vision, il lui a fallu peindre sur une surface aussi lisse que la peau. Même les jours où la douleur ou la maladie la clouaient au lit, elle passait, chaque matin, des heures à sa toilette et, chaque matin, elle annonçait : « Je m’habille pour le paradis ! » On imagine sans peine le reflet de son visage dans le miroir, les sombres sourcils qui se rejoignaient naturellement et que son khôl accentuait et métamorphosait en parenthèse noire surplombant ses deux yeux indescriptibles (des yeux dont on ne se souvient que si l’on ferme les siens !).

    Il en allait de même lorsqu’elle peignait, c’était comme si elle ébauchait, peignait ou écrivait sur sa propre peau. Si elle y parvenait, elle devinait qu’elle posséderait une faculté de sentir redoublée : le support sentirait aussi bien que la main qui peint, les nerfs de l’un et de l’autre étant reliés au même cortex cérébral. Quand Frida se représente avec, sur la peau du front, un petit portrait de Diego peint avec un oeil sur le front, il n’est guère de doute qu’elle avoue, entre autres choses, avoir nourri ce rêve. Avec des pinceaux aux poils fins comme des cils, Frida Kahlo, une fois peintre, a produit méticuleusement des images aspirant toutes à posséder la sensibilité de sa propre peau, une sensibilité aiguisée par son désir et exacerbée par sa souffrance.

    Recoudre une blessure
    POUR exprimer ses sentiments et sa nostalgie ontologique, Frida a peint diverses parties du corps, coeur, utérus, glandes mammaires, colonne vertébrale : ce symbolisme corporel fait l’objet, depuis longtemps, de nombreux commentaires. Il est vrai qu’elle en a usé comme seule une femme pouvait le faire et comme nul autre ne l’avait fait avant elle (même si, à sa façon, Diego a, lui aussi, parfois eu recours à un symbolisme de cet ordre). Mais l’essentiel n’est pas là : sans sa manière très particulière de peindre, ces symboles seraient restés des curiosités surréalistes. Or cette manière renvoie au sens du toucher, le toucher redoublé de la main et du support conçu comme une peau.

    Il suffit de voir la façon dont elle peint poils et cheveux, ceux qui recouvrent les bras de ses singes domestiques ou ses propres cheveux, le long de la ligne d’implantation du front et des tempes. Chaque touche du pinceau pousse comme un cheveu sortant d’un pore de la peau d’un corps. Geste et substance ne font qu’un. Dans d’autres tableaux, des gouttes de lait perlant au bout d’un sein, des gouttes de sang suintant d’une blessure, ou encore des larmes coulant de ses yeux, possèdent cette même identité corporelle : la goutte de peinture ne décrit pas l’humeur corporelle, mais semble en être le double. Dans un tableau intitulé "Colonne brisée", son corps est percé de clous, et il donne l’impression que l’artiste les a tenus entre les dents, avant de les enfoncer un à un à l’aide d’un marteau. Tel est ce sens aigu du toucher qui fait de sa peinture quelque chose d’unique.

    D’où la question : comment se fait-il qu’un peintre si absorbé par sa propre image n’ait jamais donné dans le narcissisme ? On a tenté d’expliquer ce paradoxe caractéristique en évoquant Van Gogh ou Rembrandt, qui ont, eux aussi, laissé de nombreux autoportraits. Mais la comparaison est aussi facile qu’inexacte. Il faut revenir à la souffrance et à la perspective dans laquelle Frida a conçu cette souffrance, chaque fois que celle-ci lui a laissé un peu de répit. Etre capable de souffrir, c’est, comme son art ne cesse de s’en affliger, la première condition pour qu’un être sente. La sensibilité de son propre corps mutilé lui a fait prendre conscience de la peau de tout ce qui vit, arbres, fruits, eau, oiseaux et, bien sûr, autrui, homme et femme. Si bien que, en peignant sa propre image pour ainsi dire à même la peau, c’est le monde sensible tout entier qu’elle exprime.

    Des critiques ont dit de l’oeuvre de Francis Bacon qu’elle avait pour thème la souffrance. Pourtant, dans l’art de ce peintre, la souffrance s’observe comme à travers un écran, comme on peut observer par le hublot de la machine le linge sale en train d’être lavé. L’oeuvre de Frida Kahlo est tout le contraire de celle de Francis Bacon. Chez elle, pas d’écran ; elle observe les yeux collés à l’objet, tandis que ses doigts s’occupent, point après point, non pas à coudre une robe, mais à recoudre une blessure. Son art s’adresse à la souffrance, bouche pressée contre la peau qui souffre, il parle du sentir et de ses désirs, de sa cruauté, de ses petits noms intimes. La poésie du grand poète vivant argentin Juan Gelman offre une intimité comparable avec la souffrance. Cette femme demande l’aumône dans un crépuscule de casseroles qu’elle récure furieusement/avec du sang/ avec l’oubli/ l’embrasser c’est comme mettre un disque de Gardel sur le phonographe/ des rues de feu dévalent de son indestructible barrio/ Et un homme et une femme marchant liés au tablier de la souffrance que nous mettons pour laver/ comme ma mère lavant le plancher tous les jours/ et le jour aurait une petite perle à ses pieds (3).

    Juan Gelman a composé en exil, dans les années 70 et 80, une grande partie de ses poèmes, qui ont souvent pour sujet les compañeros, au nombre desquels son fils et sa belle-fille que la junte militaire argentine a fait disparaître. C’est une poésie où les martyrisés reviennent partager la souffrance de ceux qui les pleurent. Son temps est en dehors du temps, en un lieu où les souffrances se rencontrent et dansent et où les affligés prennent rendez-vous avec ce qu’ils ont perdu. L’avenir et le passé n’ont pas ici de place, ils seraient absurdes : il n’y a que le présent, que l’immense modestie du présent qui revendique toujours tout, excepté les mensonges.

    Souffrance et résistance
    CETTE poésie nous permet de saisir un aspect de la peinture de Frida Kahlo, cet aspect qui la distingue radicalement de celle de Diego Rivera autant que de n’importe lequel de ses contemporains mexicains. Rivera a placé ses figures dans un espace qu’il avait maîtrisé et qui appartenait à l’avenir ; il les a placées là comme des monuments peints pour l’avenir. Et l’avenir (mais pas celui qu’il avait imaginé) est venu, et il est reparti, abandonnant les figures à leur solitude. Dans les tableaux de Kahlo, il n’y a pas d’avenir, mais seulement un présent immensément modeste qui revendique tout et auquel reviennent un instant les choses peintes que nous regardons, ces choses qui étaient déjà des souvenirs avant même d’avoir été peintes, des souvenirs de la peau.

    Il nous faut donc en revenir au geste simple par lequel Frida dépose du pigment de couleur sur les surfaces lisses qu’elle a choisi de peindre. Allongée sur son lit ou recroquevillée dans son fauteuil, un minuscule pinceau à la main dont chaque doigt porte une bague, elle se remémore ce qu’elle a touché, ce qui était là quand la souffrance n’y était pas. Le contact d’un parquet ciré, par exemple, la texture du caoutchouc du pneu de son fauteuil roulant, le duvet d’un poussin, ou la surface cristalline d’une roche ; et elle les peint comme personne d’autre. Et cette faculté discrète - qui fut vraiment très discrète - vient de ce que j’ai appelé le sens du toucher redoublé, conséquence de ce qu’elle s’imaginait peindre sa propre peau.

    Il existe d’elle un autoportrait (de 1943) où elle est étendue sur un paysage de rochers tandis qu’une plante pousse hors de son corps et que ses veines se joignent aux veines des feuilles. Derrière elle, des rochers plutôt plats s’étendent à perte de vue, un peu comme les vagues d’une mer pétrifiée. Et pourtant ce à quoi ces rochers ressemblent très précisément, c’est à ce qu’elle aurait pu éprouver sur la peau de son dos et de ses jambes, si elle avait été allongée sur eux. Frida a toujours été allongée contre tout ce qu’elle a peint, étroitement, joue contre joue.

    Qu’elle soit devenue une légende universelle tient en partie au fait que, en ce siècle enténébré par le nouvel ordre mondial, partager la souffrance est devenu une des conditions préalables essentielles pour recouvrer dignité et espoir. Il est beaucoup de souffrances impossibles à partager. Mais la volonté de partager la souffrance, elle, peut être partagée. Et ce partage, inévitablement insuffisant, suscite une résistance. Donnons encore la parole à Juan Gelman : L’espoir nous fait souvent défaut la douleur, jamais. C’est pourquoi certains pensent que mieux vaut une douleur connue qu’une douleur inconnue. Ils croient que l’espoir est illusion. La douleur les floue (4).

    Frida Kahlo n’a jamais été flouée. En travers de son dernier tableau, peint juste avant de mourir, elle a écrit : « Viva la Vida » (Vive la vie).

    John Berger.
    --------------------------------------------------------------------------------

    (1) « Diego Rivera - Frida Kahlo, regards croisés », Fondation Dina Vierny - Musée Maillol, 61, rue de Grenelle, 75007 Paris, jusqu’au 30 septembre 1998.

    (2) Jean-Marie Le Clézio, Diego et Frida, Gallimard, Paris, 1995.

    (3) Juan Gelman, « Cerises » (à Elisabeth), in Unthinkable Tenderness : Selected Poems, traduit de l’espagnol à l’anglais par Joan Lindgren, University of California Press, Berkeley, 1997.

    (4) « Les floués », ibid. Parmi les oeuvres de Juan Gelman traduites en français, on peut citer Les Poèmes de Sidney West, éditions Créapolis, Grane, 1997.
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    Message par Prométhée Ven 20 Jan - 23:05

    En ce qui concerne le contexte de l'oeuvre:
    En novembre 1930, Frida Kalho et Diego Rivera allèrent s'installer pour 4 ans aux Etats-Unis. Leur premier lieu de séjour fut San Francisco. Diego Rivera avait été chargé de réaliser des peintures murales pour la San Francisco Stock Exchange et pour la Californie School of Fine Arts. Cette décision de vivre et de travailler pendant un long espace de temps aux Etats-Unis avait certainement des raisons à la fois politiques et artistiques. Les Etats-Unis représentaient un grand pole d'attraction pour les artistes mexicains . Quelques uns d'entre eux se rendirent dans le pays voisin pour y profiter du marché de l'art plus développé.
    La situation des muralistes mexicains n'avait cessé de se dégrader depuis que Plutarco Elias Calles (1924-1928) assumait le gouvernement. Sa politique culturelle ne prévoyait plus le soutien illimité de la peinture murale; quand le ministre des affaires culturelles Vasconcelos fut destitué en 1924, les contrats des artistes furent marquées résiliés; le nombre de commandes diminua, quelques fresques furent meme détruites, entre autres la peinture murale "La création" de Rivera dans l'amphitéâtre Simon Bolivar de l'Escuela Nacional Preparatoria.
    Entre 1928 et 1934, un gouvernement sucesseur controlé par Calles fut mis en action, et ces années furent marquées par des répressions contre les dissidents. Le PCM fut interdit et de nombreux communistes furent incarcérés. Il s'ensuivit une "invasion dite mexicaine" aux Etats-Unis, et c'est dans ce contexte qu'il faut qu'il faut également voir le changement de domicile du couple Kahlo-Rivera.

    A San Francisco, Frida Kahlo fit la connaissance d'artistes, de commandiataires et de mécènes dont Albert Bender. Ce dernier était agent d'assurances et avait acquis quelques oeuvres de Diego Riviera au cours de précédents séjours au Mexique.Grace a ses influentes relations, il etait parvenu a obtenir une autorisation d'entrée aux Etats-Unis pour Diego Rivera auquel le visa avait été refusé en raison de ses opinions communistes, bien qu'il ait quitté le parti communiste en 1929 à cause des tendances stalinistes de ce dernier.
    En remerciement, Frida Kahlo réalisa pour son ami le premier d'une série de portraits doubles représentant avec son mari. Bien qu'elle ait passé la plupart du temps devant son chevalet au cours de son séjours de six mois a San Francisco, Frida n'avait à cette epoque apparamment pas le courage de se présenter aussi comme artiste public.

    Aprés que Rivera eut terminé ses travaux à San-Francisco en Juin 1931, le couple poursuivit son séjour aux Etats-Unis à New-York, exception faite d'une courte visite au Mexique.Ensuite, le couple s'etablit en avril 1932 à Detroit pour un an. Le peintre devait executer une fresque ayant pour thème l"Industrie moderne" pour le Detroit Institue of Arts.
    En 1930, Frida Kalho avait du interrompre une grossesse pour raisons médicales; elle fut de nouveau enceinte à Detroit, bien qu'on lui ait dit apres l'accident qu'elle ne pourrait vraisemblablement jamais avoir d'enfant. Que le bassin, qui avait été fracturé en trois endroits, empechait un positionnement normale de l'enfant et un accouchement normal. En décembre 1930, elle avait fait la connaissance du Dr.Leo Eloesser, chirurgien réputé, à San Francisco et s'était liée d'amitié avec lui. Sur son conseil, elle alla voir un médecin à l'Henry Ford Hospital de Detroit au début de sa grossesse."Il m'a dit (...) qu'à son avis, il valait mieux gardait le bébé au lieu d'interrompre la grossesse et que, malgré ma mauvaise condition physique, la petite fracture du bassin, de la colonne vertébrale, etc.,etc., je pourrais avoir un enfant par césarienne sans trop de difficultés", ecrivit-elle au Dr. Eloesser en qui elle avait une confiance absolue en ce qui concernait sa santé et auquel elle demandait souvent conseil. "Croyez-vous qu'il serait plus dangeureux d'avorter que d'avoir l'enfant?"
    Outre son état de santé, elle évoquait dans cette lettre d'autres problemes qui faisaient paraitre une grossesse plutot defavorable. Elle mpentionné en outre que Rivera ne s'interessait pas aux enfants. Toutefois, elle décida de porter l'enfant avant d'avoir la réponse du medecin ami: "Apres avoir réfléchi au sujet de toutes les difficultés qu'il provoquerait, j'étais enthousiasmée à l'idée d'avoir un enfant", expliqua-t-elle plus tard à son ami.
    Elle dut etre d'autant plus déçue lorqu'elle fit une fausse couche le 4 juillet et perdit l'enfant tant désiré. Pendant les treize jours qu'elle passa à l'hopital, l'artiste commença à fixer l'événement traumatisant de la fausse couche dans un dessin au crayon. Ce dernier lui servit ulterieurement de modele pour la peinture a l'huile Henry Ford Hospital.

    A partir de 1932, Frida Kahlo peignit surtout des autoportrait dans lesquels les problemes représentés ont toujours un caractere individuel, comme dans la peinture votive, souvent comme des ex-voto sur de petites plaques métalliques. Elle composa cependant "Henry Ford Hospital ou le lit volant" d'une maniere semblable, reprit la simplicité de la forme et reduisit l'événement à l'essentiel. Elle ne s'en tint toutefois pas a une execution correcte du point de vue proportion et perspective centrale, mais les negligea en faveur d'une dramatisation de la scene. Dans ses portraits, il n'y a pas de limite entre le monde reel et familier, l'objectivement visible, et le monde de l'irreel, de l'imagination.
    En Mars 1933, apres avoir terminé les peintures murales, le couple quitta Detroit et alla s'installer a New York ou Rivera avait de nouveau obtenue une commande. Apres un sejour de presque 3 ans aux Etats-Unis, Frida Kahlo désirait s'en retourner au Mexique. En 1932, elle avait clairement exprimé son point de vue ambivalent au sujet du "pays des gringos" dans son "Autoportrait à la frontiere entre le Mexique et les Etats-Unis".
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    Message par Prométhée Sam 21 Jan - 14:54

    Autoportrait à la frontiere entre le Mexique et les Etats-Uni, 1932:

    Vetue d'une elegante robe rose et de longs gants blancs en dentelle, elle se tient comme une statue sur son socle devant un monde partagé en deux - à droite, le monde mexicain plein d'histoire, déterminé par les forces naturelles et le cycle naturel de l'existance, a gauche, le monde nord américain mort et dominé par la technique. Frida Kahlo est déchirée entre ces deux espaces vitaux tellement opposés. Elle tient un drapeau mexicain dans une main et une cigarette dans l'autre. Malgré son admiration pour le progrès industriel des Etats-Unis, la nationaliste mexicaine se sentait très mal à l'aise dans le Nouveau Monde. "Je n'aime pas particulierement le peuple gringo", écrivit-elle à une amie au Mexique, "Ils sont affreusement fades et ont tous des visages comme des petits pains non cuits (surtout les femmes)." Et dans une lettre à son ami le Dr Eloesser, elle maugréa: "La High-Society d'ici m'énerve, et je suis un peu en colère contre tous les riches, parce que j'ai vu des milliers de personnes dans la misère la plus noire, sans rien à manger et sans endroit pour dormir; c'est ce qui m'a le plus impressionnée ici; c'est effrayant de voir ces riches qui donnent des surprises-parties jour et nuit pendant que des milliers de gens meurent de faim...Bien que je m'interesse énormement à tout le progrès industriel et mécanique des Etats-Unis, je trouve que les américains manquent de sensibilité et de bon gout. Ils vivent comme dans une immense cage à poules, sale et peu confortable. Les maisons ressemblent à des fours à pain, et tout le confort dont ils font tant de cas est un mythe".
    La représentation du monde industriel froid et mort, essentiellement dans les tons gris et bleus, montre qu'elle n'admirait pas la technique sans la critiquer, mais etait consciente des inconvénients de ce progrès. La représentation du monde mexicain, par contre, est marquée par les chaudes couleurs de la terre et de la nature. Les fleurs jaillissent de terre, et les produits de la création humaine, les sculptures et la pyramide, son faits de matériaux naturels. Cette contradictions entre l'artificiel et le naturel est visible dans de nombreux détails. Les nuages dans le ciel mexicain trouvent leur oppositon dans un nuage de fumée s'échappant des cheminées des usines Ford. La flore variée d'un coté est remplacée de l'autre coté par divers appareils électriques avec cables qui sucent l'énergie du sol avec leurs racines. Le monde industriel américain semble sans vie, par contre, deux idoles de la fécondité et une tete de mort, symbolisant en quelque sorte le cycle de la vie, surgissent sur le coté mexicain. Les divinités de l'ancien Mexique, Quetzalcoalt et Tezcatlipoca, représentées par le soleil et la lune au dessus des ruines du temple precolombien sont oppossées aux dieux des Etats-Unis, industriels, banquiers et fabricants qui gitent dans les temples modernes de la grande ville, les gratte-ciel.
    Seul un petit détail créé un lien entre les deux mondes: un générateur posé sur le sol nord-américain tire son énergie des racines de plantes mexicaines pour alimenter ensuite le socle sur lequel se tient Frida Kahlo. Sa silhouette semble recevoir de l'énergie des deux mondes. Ceci est l'indice qu'ils représentent non seulement ses sentiments de l'époque, ses conflits intérieurs et sa nostalgie du pays natal, mais aussi qu'elle voulait montrer qu'il lui fallait trouver sa propre voie entre les deux poles en tant qu'incarnation de son pays natal, se basant sur l'histoire et profitant du progrès.

    extrait de "Kahlo" de Andrea Kettenmann
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    Message par Mara Lun 23 Jan - 20:16

    Merci Prométhée ,voilà qui devrait m'être fort utile. ok-ok
    La prof d'espagnol va se joindre à moi pour les faire travailler sur un texte de Frida dans la langue d'origine, je suis ravie, je sens que cette semaine-là sera agréable !

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