(...) Le Tribunal de Grande Instance de Nanterre, saisi par la présentatrice et son compagnon Philippe Torreton, ordonne en effet, dans un référé rendu le 7 juillet, la suspension de la diffusion de Derrière l’écran, biographie romancée de Claire Chazal de Sarah Vajda (Pharos/Jacques-Marie Laffont). Motif invoqué par les plaignants : protection de la vie privée et droit à l’image. En attendant le jugement de fond, qui pourrait intervenir en octobre, le livre reste donc interdit à la vente.
On sait que les biographies non autorisées de personnalités – les «BNA», selon l’expression consacrée par les cabinets d’avocats – sont à la mode. S’abreuvant aux mêmes torves mamelles que la presse «trash people», l’exercice suppose un couple immuable : d’un côté un journaliste d’investigation soutenu par un éditeur prêt à en découdre avec les tribunaux civils, de l’autre une personnalité dont l’image publique camouflerait quelques turpitudes appétissantes.
Le problème, précisément, est que le livre de Sarah Vajda n'appartient pas à ce genre de dramaturgie : docteur en littérature, spécialiste des «droites nationales», entrée dans l’arène éditoriale avec une imposante biographie de Maurice Barrès, Sarah Vajda n'a guère le profil d'une échotière ou d'une enquêtrice des milieux télévisuels. L'auteur postule d'ailleurs que la vie de Claire Chazal se révèle particulièrement pauvre en événements saillants : «Claire parut dans la petite lucarne. Voilà toute son épitaphe.» Loin de charrier des révélations sur la vie privée de Claire Chazal, Derrière l’écran se présente d’emblée, sous le prétexte d’être une «biographie romancée, peut-être pas tant que cela, de la directrice de l’Information à TF1», comme un essai littéraire sur la chose télévisuelle, irrigué par les thèses de Guy Debord et Marshall Mac Luhan. Les premières pages s’ouvrent ainsi sur une scène surréelle : Claire Chazal, détrônée par une «Agathe fauve et carnivore», son antithèse parfaite, trouve le réconfort auprès d’un jeune homosexuel, lequel parvient à convaincre la star déchue, lui chantant les grands tubes des années 80, de tourner le film de sa vie. Il est évident que n’importe quel lecteur, arrivé à ce stade de Derrière l’écran, comprendra qu’on navigue ici dans un récit warholien où le vrai ne se distingue plus du faux, et que les fragments de vie privée de Claire Chazal n’ont finalement qu’un statut précaire. La présentatrice est analysée depuis son statut d’icône, le seul qui compte in fine; Claire, à l’instar des Marylin ou des Liz de Warhol, apparaît unique et reproductible à l’infini, une femme factice biglant vers la femme vraie.
Face aux salutaires questions posées par ce livre OVNI, les motifs judiciaires ayant présidé à son interdiction apparaissent dérisoires : la photo de couverture, achetée par l’éditeur à l’agence Gamma, poserait problème puisque Claire Chazal n’en a pas autorisé la publication (le juge se basant sur l’argument hautement discutable que «la personnalité médiatique de la plaignante ne [suffirait] pas à en faire un sujet d’actualité»)... La reproduction d’un poème de Philippe Torreton, sur une vingtaine de lignes, ne répondrait pas aux «exigences légales de la courte citation» et porterait atteinte aux «droits d’auteurs du demandeur»… La référence comique à un titre de vaudeville, Dommage qu’elle soit une putain, pour dépeindre les réactions d’un jeune amoureux éconduit serait injurieux, etc. On le comprend rapidement lorsque l’on se penche sur cette affaire : il y a une disproportion flagrante entre les faits reprochés – et certaines maladresses méritent sans doute d’être sanctionnées – et la gravité de la peine infligée au livre. (...)
On ne répétera jamais assez que l’interdiction d’un livre reste un événement rarissime en France. Que ce soit précisément ce livre-là qui, pour des motifs discutables, subisse la censure judiciaire devrait légitiment susciter un débat. Dans les jours précédant la sortie de Derrière l’écran, le journal Ici Paris, dans un article d’une violence inouïe, réclamait carrément «l’autodafé» pour le livre de Sarah Vajda. Il est attristant de constater que la justice, hélée par la femme-tronc préférée des Français, n’a pas hésité à suivre ce réquisitoire d’un autre âge.
Bruno Deniel-Laurent.
source: http://stalker.hautetfort.com/
Après l'intimidation réussie du ministre de l'Intérieur français sur un éditeur de petite envergure, dont un auteur de moindre envergure encore fit les frais, c'est donc au tour de l'un des écrivains les plus prometteurs, non pas tant par les promesses qu'elle tient que par les serments qu'elle défait et par sa capacité de bâtir des chefs d'oeuvre sur des lieux à priori communs (Amnésies est ouvrage majeur, ne serait ce que pour le dialogue imaginaire entre l'héroïne et Brasillach...) de connaitre les joies de la fatwa républicaine.
Ces derniers temps, il ne fait donc pas bon être du côté des Lettres. L'Image prévaut sur le Verbe, et la liberté d'expression est ainsi sommée de s'arrêter là où déborde la sensibilité exacerbée d'autrui.
On aurait tendance à s'habituer, à force des frasques imbéciles de quelques penseurs auto-proclamés (Redeker et Soral en sont les illustrations les plus récentes), à cet état de fait, à cette lente dégénerescence de la liberté publique au profit des intérêts particuliers.
En l'occurence, c'est donc le "droit à l'image et le droit à la vie privée" qui viennent d'être invoqués, par ceux là même qui en ont fait leur fonds de commerce, pour porter un énième coup de grâce à la Littérature.
Car venant de Sarah Vajda, on ne pouvait attendre autre chose que l'effet secondaire du souffle du Verbe, d'elle pour qui la révélation ne consiste pas à la mise à jour des détritus personnels de son sujet ou à l'exhumation de quelques cadavres placardés, on ne pouvait espérer que la sublimation du sujet, à priori fort pauvre au regard de la intellectuelle de Dame Chazal.
Sarah Vajda a eu ce grand tort d'être moins préoccupée par la vie privée de l'icône Chazal -que cette dernière ne répugne pas d'ordinaire à monnayer pour égayer nos mornes saisons estivales-, d'être moins soucieuse de faire chuter une idole de son pied d'estale que de révéler ce que dissimulait l'ensemble monolithique.
Et c'est en réalité tout ce qui est reproché à Sarah Vajda, reconnue coupable par d'avoir usé de l'écriture non pour exciter la curiosité imbécile des lecteurs de tabloïds, et d'avoir inscrit une icône médiatique dans un système de représentations et de révélations auxquelles Dame Chazal entend demeurer étrangère et, par la même occasion, nous en interdire l'accès.
On sait que les biographies non autorisées de personnalités – les «BNA», selon l’expression consacrée par les cabinets d’avocats – sont à la mode. S’abreuvant aux mêmes torves mamelles que la presse «trash people», l’exercice suppose un couple immuable : d’un côté un journaliste d’investigation soutenu par un éditeur prêt à en découdre avec les tribunaux civils, de l’autre une personnalité dont l’image publique camouflerait quelques turpitudes appétissantes.
Le problème, précisément, est que le livre de Sarah Vajda n'appartient pas à ce genre de dramaturgie : docteur en littérature, spécialiste des «droites nationales», entrée dans l’arène éditoriale avec une imposante biographie de Maurice Barrès, Sarah Vajda n'a guère le profil d'une échotière ou d'une enquêtrice des milieux télévisuels. L'auteur postule d'ailleurs que la vie de Claire Chazal se révèle particulièrement pauvre en événements saillants : «Claire parut dans la petite lucarne. Voilà toute son épitaphe.» Loin de charrier des révélations sur la vie privée de Claire Chazal, Derrière l’écran se présente d’emblée, sous le prétexte d’être une «biographie romancée, peut-être pas tant que cela, de la directrice de l’Information à TF1», comme un essai littéraire sur la chose télévisuelle, irrigué par les thèses de Guy Debord et Marshall Mac Luhan. Les premières pages s’ouvrent ainsi sur une scène surréelle : Claire Chazal, détrônée par une «Agathe fauve et carnivore», son antithèse parfaite, trouve le réconfort auprès d’un jeune homosexuel, lequel parvient à convaincre la star déchue, lui chantant les grands tubes des années 80, de tourner le film de sa vie. Il est évident que n’importe quel lecteur, arrivé à ce stade de Derrière l’écran, comprendra qu’on navigue ici dans un récit warholien où le vrai ne se distingue plus du faux, et que les fragments de vie privée de Claire Chazal n’ont finalement qu’un statut précaire. La présentatrice est analysée depuis son statut d’icône, le seul qui compte in fine; Claire, à l’instar des Marylin ou des Liz de Warhol, apparaît unique et reproductible à l’infini, une femme factice biglant vers la femme vraie.
Face aux salutaires questions posées par ce livre OVNI, les motifs judiciaires ayant présidé à son interdiction apparaissent dérisoires : la photo de couverture, achetée par l’éditeur à l’agence Gamma, poserait problème puisque Claire Chazal n’en a pas autorisé la publication (le juge se basant sur l’argument hautement discutable que «la personnalité médiatique de la plaignante ne [suffirait] pas à en faire un sujet d’actualité»)... La reproduction d’un poème de Philippe Torreton, sur une vingtaine de lignes, ne répondrait pas aux «exigences légales de la courte citation» et porterait atteinte aux «droits d’auteurs du demandeur»… La référence comique à un titre de vaudeville, Dommage qu’elle soit une putain, pour dépeindre les réactions d’un jeune amoureux éconduit serait injurieux, etc. On le comprend rapidement lorsque l’on se penche sur cette affaire : il y a une disproportion flagrante entre les faits reprochés – et certaines maladresses méritent sans doute d’être sanctionnées – et la gravité de la peine infligée au livre. (...)
On ne répétera jamais assez que l’interdiction d’un livre reste un événement rarissime en France. Que ce soit précisément ce livre-là qui, pour des motifs discutables, subisse la censure judiciaire devrait légitiment susciter un débat. Dans les jours précédant la sortie de Derrière l’écran, le journal Ici Paris, dans un article d’une violence inouïe, réclamait carrément «l’autodafé» pour le livre de Sarah Vajda. Il est attristant de constater que la justice, hélée par la femme-tronc préférée des Français, n’a pas hésité à suivre ce réquisitoire d’un autre âge.
Bruno Deniel-Laurent.
source: http://stalker.hautetfort.com/
Après l'intimidation réussie du ministre de l'Intérieur français sur un éditeur de petite envergure, dont un auteur de moindre envergure encore fit les frais, c'est donc au tour de l'un des écrivains les plus prometteurs, non pas tant par les promesses qu'elle tient que par les serments qu'elle défait et par sa capacité de bâtir des chefs d'oeuvre sur des lieux à priori communs (Amnésies est ouvrage majeur, ne serait ce que pour le dialogue imaginaire entre l'héroïne et Brasillach...) de connaitre les joies de la fatwa républicaine.
Ces derniers temps, il ne fait donc pas bon être du côté des Lettres. L'Image prévaut sur le Verbe, et la liberté d'expression est ainsi sommée de s'arrêter là où déborde la sensibilité exacerbée d'autrui.
On aurait tendance à s'habituer, à force des frasques imbéciles de quelques penseurs auto-proclamés (Redeker et Soral en sont les illustrations les plus récentes), à cet état de fait, à cette lente dégénerescence de la liberté publique au profit des intérêts particuliers.
En l'occurence, c'est donc le "droit à l'image et le droit à la vie privée" qui viennent d'être invoqués, par ceux là même qui en ont fait leur fonds de commerce, pour porter un énième coup de grâce à la Littérature.
Car venant de Sarah Vajda, on ne pouvait attendre autre chose que l'effet secondaire du souffle du Verbe, d'elle pour qui la révélation ne consiste pas à la mise à jour des détritus personnels de son sujet ou à l'exhumation de quelques cadavres placardés, on ne pouvait espérer que la sublimation du sujet, à priori fort pauvre au regard de la intellectuelle de Dame Chazal.
Sarah Vajda a eu ce grand tort d'être moins préoccupée par la vie privée de l'icône Chazal -que cette dernière ne répugne pas d'ordinaire à monnayer pour égayer nos mornes saisons estivales-, d'être moins soucieuse de faire chuter une idole de son pied d'estale que de révéler ce que dissimulait l'ensemble monolithique.
Et c'est en réalité tout ce qui est reproché à Sarah Vajda, reconnue coupable par d'avoir usé de l'écriture non pour exciter la curiosité imbécile des lecteurs de tabloïds, et d'avoir inscrit une icône médiatique dans un système de représentations et de révélations auxquelles Dame Chazal entend demeurer étrangère et, par la même occasion, nous en interdire l'accès.