RURAL - Chronique d'une collision politique (2001)
Scénariste :
Davodeau EtienneDessinateur :
Davodeau Etienne Editeur :
Delcourt Collection :
EncragesDate de parution :
Le 17 Mai 2001Pages :
144Noir et blancPrix :
10.52 €ISBN :
2840555832C'est l'histoire d'un coin tranquille à la campagne. Un couple achève d'y retaper une vieille bâtisse devenue en dix ans de travaux une agréable maison. Un peu plus loin, trois jeunes paysans, convaincus qu'une autre agriculture est possible, tentent le pari du bio. Tout va bien, jusqu'au jour où la nouvelle tombe : le tracé d'une future autoroute passe ici-même. Durant une année entière, Étienne Davodeau a suivi ces gens crayon en main, a mené son enquête sur les origines de cette décision absurde et ses répercussions dramatiques sur la vie d'une région.
Source : http://www.editions-delcourt.fr
BD ZOOM : Votre nouvel album « Rural !» est une bande dessinée mi « documentaire » mi « reportage ». Comment définissez vous ce style de BD ?
ETIENNE DAVODEAU : Je ne sais pas ! Documentaire, oui ; reportage, oui aussi. C’est un mélange des deux. C’est surtout et avant tout une bande dessinée. Mon idée était d’utiliser la réalité quotidienne et que la BD devienne un outil pour raconter cette réalité. Il n’y a absolument pas de fiction. C’est un reportage ou un documentaire. Parfois l’un, parfois l’autre.
BD ZOOM : Avez vous l’impression d’être novateur ?E.D. :Ce serait très exagéré. Le genre est très peu utilisé, c’est vrai, mais des gens comme Jo Sacco ou Blutch et Menu y ont déjà touché. C’est extrêmement minoritaire car la BD sert généralement à raconter des histoires de fiction, et cherche aussi souvent à se mettre en rupture par rapport à la réalité. On crée des mondes imaginaires, on va sur des planètes lointaines … La BD est assez peu utilisée pour parler du monde réel.
BD ZOOM : Mais au delà des aspects quelquefois autobiographiques que l’on retrouve effectivement dans certains albums, le votre se démarque par la façon dont est traité le sujet, sorte d’interview en longueur …E.D.: Il y a des interviews, c’est vrai. J’ai observé des gens, je les ai accompagné, je leur ai posé des questions. J’ai raconté des histoires de gens que je rencontrais. Je les ai interviewé, c’est vrai, mais j’ai également observé leur mode de vie et leur travail.
BD ZOOM : Comment avez vous procédé avec eux ?E.D : J’ai rencontré les personnes que je souhaitais intégrer dans le livre et je leur ai proposé de me laisser les regarder travailler et les interviewer, en contrepartie de quoi je leur soumettais mes pages pour vérifier d’une part que je ne disais pas de bêtises et d’autre part que je ne trahissais pas leur discours. Par contre, il était convenu qu’ils n’avaient aucun droit de regard sur mes propres commentaires. La plupart des gens à qui j’ai fait cette proposition ont accepté. Certains ont démissionné en cours de route, ils ne figurent donc pas dans le livre. Tout s’est bien passé car ce principe me permettait d’être sur de ce que je couchais sur le papier.
BD ZOOM : Le récit est double : d’un coté la vie quotidienne d’agriculteurs et de l’autre la campagne perturbée par la construction d’une autoroute ...E.D. : Oui, c’est ça, c’est pour ça que je parlais de documentaire et de reportage. J’ai passé un an complet dans la ferme dont je parle pour connaître tout le cycle d’exploitation. Pour moi, cette partie est documentaire car je montre et j’explique de façon presque didactique comment ces paysans travaillent, font leur semis, comment se passe un vêlage, la traite, etc …La partie reportage concerne quelque chose qui est plus de leur actualité que de leur routine, à savoir le fait que cette ferme, au moment du passage de sa production en « bio », se retrouve coupée en deux par une autoroute.
BD ZOOM : Cet événement à une influence sur ces paysans mais également sur tous les autres habitants de la région. Car « Rural ! » est l’histoire de tous les campagnards …E.D. : C’est pour cela que j’ai appelé ce livre « Rural ! ». Il ne concerne pas seulement le monde agricole mais tous les gens qui vivent à cet endroit. Ca raconte également la vie d’une famille expropriée, d’un village maintenant frôlé par une autoroute d’un coté et une route nationale de l’autre. Ca raconte encore la position des hommes politiques de la région, que j’ai rencontré, face à ce tracé d’autoroute. C’est aussi une enquête.
BD ZOOM : N’avez vous pas peur de paraître trop didactique dans votre explication du travail de la ferme ?E.D. : Mon projet était aussi d’expliquer au gens comment vivent et travaillent les paysans aujourd’hui. Leur image actuelle, de gros cons qui déversent des tonnes de lisier devant les préfectures, présentée dans les mEtienne Davodeauias, ne me convient pas. Il n’y a pas que des gens comme ça. Mon idée était de montrer d’autres paysasn, qui réfléchissent à leurs actes, à leur travail et qui essaye de faire ce travail en étant en accord avec leur conception des choses.
BD ZOOM : Quelle est votre ambition à travers ce style de récit ?E.D. : Il y en a plusieurs. Tout d’abord j’ai eu envie d’utiliser la BD plus qu’elle ne l’est. J’ai l’impression qu’on la sous-estime et qu’on la sous-utilise. Moi , la BD m’intéresse beaucoup. C’est l’essentiel de mon existence puis que je passe ma vie à en faire. Or j’ai l’impression qu’on la limite et qu’elle mérite mieux. C’est une humble et modeste tentative de proposer une alternative à la façon dont elle est aujourd’hui utilisée. Ensuite, j’aimerais bien ouvrir le petit cercle des gens qui lisent de la bande dessinée. Si ce livre marche, ce sera parce que des personnes qui l’auront acheté auront été intéressées par le sujet, au delà du fait que ce soit une BD.
BD ZOOM : La BD comme vecteur de communication au sens large ?E.D. : Mais c’est ça la BD ! On la cantonne dans un truc distractif, de fiction, d’évasion … Mais ça peut être autre chose.
BD ZOOM : Quand on regarde vos récits précédents, on constate une affection particulière pour les gens, et également pour la campagne. Les défendre, c’est votre croisade E.D. : Ce n’est absolument pas une croisade ! Qu’on fasse une BD, un film, un roman, on travaille toujours depuis quelque part, on raconte un endroit et mon endroit à moi, celui que je montre, c’est où je suis là.
BDZOOM : Mais vous semblez exprimer malgré tout une certaine méfiance du monde urbain, et des grandes entreprises en particulier, comme dans « Rural ! », la société qui construit l’Autoroute ?E.D. : Je ne crois pas . Non, non. Je parle des endroits que je connais le mieux. Je suis né à la campagne, j’y vis et j’espère honnêtement y mourir car c’est là que je préfère vivre et les histoires que je raconte viennent de là. Encore une fois, c’est une question de point de vue. C’est vrai que je suis mal à l’aise pour dessiner la ville parce que cet univers ne m’est pas quotidien. J’y vais bien évidemment souvent car on ne peut pas se passer de la ville et je ne fais pas de rejet particulier à ce sujet. Mon attitude n’est pas aussi tranchée. C’est une question de choix et de priorités.
BD ZOOM : Prenons un exemple. Dans « Rural ! », vous ne donnez pas la parole aux responsable de la société qui construit l’autoroute puisque vous expliquez que vous n’auriez eu accès qu’au responsable de la communication qui vous aurait fourni un discours « officiel » ?E.D. : Oui, j’en suis convaincu.
BD ZOOM : Dans « Anticyclone », le personnage principal est un directeur des Ressources Humaines , une fonction que vous ne ménagez pas ?E.D. : J’ai fait de Samuel Faure, le personnage principal d’Anticyclone, un être très humain et très chaleureux et très mal à l’aise dans le poste qu’il occupe. Il n’est pas taillé pour ce métier. Quand je vois les plans sociaux comme ceux de Marks & Spencer ou Danone, je me dis que je n’aimerais pas être DRH. Ca doit être difficile à assumer de mettre tous ces gens dehors parce qu’on est payé pour ! J’imagine que les gens qui font ça ont été formés et qu’il font ce métier, qui est le leur, sans état d’âme. En fait je n’en sais rien. Mais c’est une question que je me pose. D’où Samuel Faure que j’ai créé pas taillé pour et encombré par ce métier. Je porte un regard critique, pour gratter là où ça fait mal.
BD ZOOM : Est-ce que ce n’est pas un peu facile de ne pas interroger les responsables de l’autoroute au prétexte que de toute façon ils vont servir un discours officiel ?E.D. : On peut le voir comme ça mais je suis réellement convaincu que je n’aurais rien obtenu d’autre. Il n’y avait pas d’autres solutions. Si j’avais été voir ce responsable, il aurait logiquement fait son métier et aurait parlé de l’A87 au nom de son entreprise, et pas comme individu. Il m’aurait donc fourni les arguments de l’entreprise. Une rencontre que je jugeais d’avance inutile. Mais je tenais à préciser quand même que je n’allais pas le voir et pourquoi.
BD ZOOM : Vous même, vous habitez dans cette région ? E.D. : Oui, tout à fait. Je vis à quatre kilomètres de la ferme.
BD ZOOM : Donc vous connaissiez tout cet environnement ? E.D. : Oui, un peu. Concernant l’autoroute, c’est une histoire qui a fait beaucoup de bruit dans cette région à l’époque. Ce livre est d’ailleurs aussi une façon de donner la parole à des gens qu’on a juste fait semblant d’écouter. Car il y a des concertations, des réunions , des enquêtes d’utilité publique. Mais tout ça se révèle une sorte de mascarade destinée à donner un simulacre de démocratie. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est le député du coin dans le bouquin. Donc on s’exprime, on discute et puis après, on sort les bulldozers. Ce livre est un témoignage pour expliquer la façon dont ça se passe, qu’il y a des gens qui vont vivre maintenant avec cette autoroute devant leur porte et toute leur vie et que ça ne s’est pas passé de façon démocratique. D’ailleurs ça ne se passe jamais de façon démocratique car les intérêts économiques et financiers en jeu sont tels qu’on ne peut pas passer trop de temps à faire joujou à la démocratie car il faut rapidement passer aux choses sérieuses et commencer le chantier.
BD ZOOM : Qui a eu l’idée de demander à José Bové de signer la préface de votre livre ?E.D. : Ca a commencé par une boutade avec mon éditeur Guy Delcourt qui m’a dit qu’avec un sujet pareil il fallait une préface de José Bové. J’ai pris Guy au mot. Avec les trois paysans que j’ai suivi et qui appartiennent à la confédération paysanne, nous avons écrit à José Bové qui nous a répondu que le projet l’emballait et que c’est fort volontiers, si ça pouvait nous donner un coup de main, qu’il en signerait la préface. Ca s’est donc passé comme une lettre à la poste.
BD ZOOM : N’avez-vous pas peur du côté partisan que cela peut donner à votre livre ?E.D. : C’est un livre partisan ! Affiché et revendiqué comme tel ! Je n’ai pas peur de ça. Cette préface est aussi une façon de signaler au gens assez nombreux sensibles aux thèses de José Bové que ce livre parle un peu des options qu’il défend. Bien sur, l‘aspect médiatique de José Bové existe aussi. Je n’ai pas sollicité le personnage mais la mouvance et les idées qu’il représente.
BD ZOOM : Allez vous poursuivre dans ce style de BD ?E.D.: J’ai très envie d’en refaire. C’est très motivant. Il faut d’abord mesurer l’impact qu’aura « Rural ! » auprès du public car c’est une BD différente . Si ça se passe bien en termes commerciaux –voyons les choses en face- et si on m’en donne l’opportunité, je replonge dedans. Ca n’implique pas que je laisse tomber la fiction que j‘aime aussi mais que je pratique différentes formes de bandes dessinées.
BD ZOOM : Quel autre thème aimeriez vous traiter de cette manière ?E.D. : Voilà la difficulté. Quand on traite de sujets de fiction, on se réunit avec soi même et on construit un scénario. Quand on veut faire un reportage, il faut d’abord trouver un sujet, qu’on n’a pas en soi. Il faut être à l’affût pou aller chercher le sujet ou que celui-ci vienne à notre rencontre. Je n’avais pas décidé à priori de faire une BD sur l’agriculture biologique, à laquelle je ne pense honnêtement pas en permanence. Je cherchais un sujet digne d’être le thème d’une BD de reportage et je suis tombé sur celui-là. S je veux recommencer, il faut que je trouve un nouveau sujet. Donc je cherche, je rencontre des gens. Mais je ne peux pas le décider à priori. Il faut que je trouve une matière et des gens.
BD ZOOM : Le prochain album sera donc une œuvre de fiction ?E.D. : Oui, j’ai envie d’en refaire. Et elle sera en couleur ! Mais j’ai en tête de refaire une BD du genre de « Rural ! » rapidement.
Source : http://www.bdzoom.com

