Directives Ministérielles
Ce que nos enfants doivent savoir
On le sait, tout changement officiel dans la définition du rôle de l’école, dans les programmes, dans la pédagogie a tendance à susciter l’émotion, à tous les sens du terme — rappelons qu’émeute et émotion sont des doublons, et que l’émotion désigna longtemps une agitation populaire. Et c’est logique, et c’est même heureux, puisque l’instruction publique a partie liée avec la République et que s’y joue, toujours, une conception de la formation du citoyen. C’est dire si l’introduction, en cette rentrée 2009, du tout nouveau « socle commun de connaissances et de compétences » mérite qu’on s’y attarde. Sans compter qu’il est censé porter l’« ambition de la République pour son école », pour citer le ministre de l’éducation nationale Luc Chatel (1) .
Ce socle commun se définit par un contenu, et par un objectif : il désigne les savoirs que les élèves devront maîtriser à l’issue de la scolarité obligatoire, et vise ainsi à transmettre une culture... commune. Comme le précise M. Chatel, en s’emmêlant quelque peu dans les images, ledit socle est une « clé » pour la réussite et une « ancre » pour « le projet éducatif national au cœur du pacte républicain ». C’est quasiment aussi troublant que la rencontre du parapluie et de la machine à coudre sur la table de dissection chère à Lautréamont, mais assez engageant. Il reste à examiner de plus près la clé, l’ancre et le cœur.
La nouveauté, oserait-on dire la... modernité de cette orientation, ce n’est certainement pas la transversalité revendiquée, qui n’a pas besoin d’être programmée pour être mise en œuvre. Ce n’est pas davantage un certain abandon de l’étude de la littérature, particulièrement en « langue vivante étrangère », dont il est d’ailleurs précisé que ce qui, dans ce domaine, importe, c’est la « pratique », afin de pouvoir « communiquer de manière simple mais efficace ». C’est une évolution parfaitement désolante, mais qui paraît avoir déjà été lancée…
Non, ce qui surprend, c’est la dilution de l’enseignement de l’histoire et de la géographie dans un ensemble baptisé « culture humaniste », c’est l’insistance sur la préparation au partage d’une « culture européenne » qui, à ce qu’il semble, reste quand même à définir, c’est le fait étrange que le seul texte cité deux fois comme devant être connu, c’est la Bible (aucun écrivain ou artiste n’a par ailleurs les honneurs d’une mention), c’est encore la précision minutieuse qui souligne que l’approche du « fait religieux » doit se faire « dans un esprit de laïcité respectueux des consciences et des convictions », comme si le rôle de l’enseignement, qui est de faire la distinction entre croire et savoir pour ne traiter que du savoir, n’était pas assez défini…
Ce qui, enfin, laisse songeur, ce sont les deux sections consacrées aux « compétences sociales et civiques » et à « l’autonomie et initiative » où tout se mélange : la nécessité de développer le sentiment d’appartenance à son pays, à l’Union européenne » - ce qui est déjà assez saisissant – et l’obligation de connaître les geste de premier secours, l’analyse de l’autonomie comme autoévaluation doublée de l’aptitude à nager, la célébration de la motivation, du désir de réussir, de l’initiative « attitudes fondamentales ».
Sourdement hantée par la question de l’ »intégration », soucieuse de contribuer à forger un « ressortissant européen » sportif et prêt à la flexibilité du marché, mais désireuse de conjuguer les « valeurs universelles » et la « diversité culturelle », cette « mise en cohérence » du parcours scolaire semble bien relever davantage d’une entreprise d’adaptation à la modernité libérale que du vieux projet d’émancipation , longtemps fondateur des ambitions de l’école publique. D’ailleurs, ce curieux infléchissement se remarque dés le programme de l’école maternelle (2), où il est affirmé intrépidement que les enfants devront apprendre les « fondements moraux » de la civilité, c’est –à-dire notamment « le respect de la personne et des biens d’autrui, l’obligation de se conformer aux règles édictées par les adultes ». Allons bon…
(1) Ministère de l’éducation nationale, Ecole et collège : tout ce que nos enfants doivent savoir.
Le Socle commun de connaissances et de compétences 2009-2010, préface de Luc Chatel, Centre national de documentation pédagogique (CNDP), Paris, 2009, 58 pages, 3.90 euros.
(2) Ministère de l’éducation nationale, Qu’apprend-on à l’école maternelle ? Les programmes officiels, préface de Luc Chatel, CNDP, 58 pages, 3.90 euros.
Ce que nos enfants doivent savoir
On le sait, tout changement officiel dans la définition du rôle de l’école, dans les programmes, dans la pédagogie a tendance à susciter l’émotion, à tous les sens du terme — rappelons qu’émeute et émotion sont des doublons, et que l’émotion désigna longtemps une agitation populaire. Et c’est logique, et c’est même heureux, puisque l’instruction publique a partie liée avec la République et que s’y joue, toujours, une conception de la formation du citoyen. C’est dire si l’introduction, en cette rentrée 2009, du tout nouveau « socle commun de connaissances et de compétences » mérite qu’on s’y attarde. Sans compter qu’il est censé porter l’« ambition de la République pour son école », pour citer le ministre de l’éducation nationale Luc Chatel (1) .
Ce socle commun se définit par un contenu, et par un objectif : il désigne les savoirs que les élèves devront maîtriser à l’issue de la scolarité obligatoire, et vise ainsi à transmettre une culture... commune. Comme le précise M. Chatel, en s’emmêlant quelque peu dans les images, ledit socle est une « clé » pour la réussite et une « ancre » pour « le projet éducatif national au cœur du pacte républicain ». C’est quasiment aussi troublant que la rencontre du parapluie et de la machine à coudre sur la table de dissection chère à Lautréamont, mais assez engageant. Il reste à examiner de plus près la clé, l’ancre et le cœur.
La nouveauté, oserait-on dire la... modernité de cette orientation, ce n’est certainement pas la transversalité revendiquée, qui n’a pas besoin d’être programmée pour être mise en œuvre. Ce n’est pas davantage un certain abandon de l’étude de la littérature, particulièrement en « langue vivante étrangère », dont il est d’ailleurs précisé que ce qui, dans ce domaine, importe, c’est la « pratique », afin de pouvoir « communiquer de manière simple mais efficace ». C’est une évolution parfaitement désolante, mais qui paraît avoir déjà été lancée…
Non, ce qui surprend, c’est la dilution de l’enseignement de l’histoire et de la géographie dans un ensemble baptisé « culture humaniste », c’est l’insistance sur la préparation au partage d’une « culture européenne » qui, à ce qu’il semble, reste quand même à définir, c’est le fait étrange que le seul texte cité deux fois comme devant être connu, c’est la Bible (aucun écrivain ou artiste n’a par ailleurs les honneurs d’une mention), c’est encore la précision minutieuse qui souligne que l’approche du « fait religieux » doit se faire « dans un esprit de laïcité respectueux des consciences et des convictions », comme si le rôle de l’enseignement, qui est de faire la distinction entre croire et savoir pour ne traiter que du savoir, n’était pas assez défini…
Ce qui, enfin, laisse songeur, ce sont les deux sections consacrées aux « compétences sociales et civiques » et à « l’autonomie et initiative » où tout se mélange : la nécessité de développer le sentiment d’appartenance à son pays, à l’Union européenne » - ce qui est déjà assez saisissant – et l’obligation de connaître les geste de premier secours, l’analyse de l’autonomie comme autoévaluation doublée de l’aptitude à nager, la célébration de la motivation, du désir de réussir, de l’initiative « attitudes fondamentales ».
Sourdement hantée par la question de l’ »intégration », soucieuse de contribuer à forger un « ressortissant européen » sportif et prêt à la flexibilité du marché, mais désireuse de conjuguer les « valeurs universelles » et la « diversité culturelle », cette « mise en cohérence » du parcours scolaire semble bien relever davantage d’une entreprise d’adaptation à la modernité libérale que du vieux projet d’émancipation , longtemps fondateur des ambitions de l’école publique. D’ailleurs, ce curieux infléchissement se remarque dés le programme de l’école maternelle (2), où il est affirmé intrépidement que les enfants devront apprendre les « fondements moraux » de la civilité, c’est –à-dire notamment « le respect de la personne et des biens d’autrui, l’obligation de se conformer aux règles édictées par les adultes ». Allons bon…
Evelyne Pieiller
Ecrivaine, auteure notamment de
Dick, le zappeur des mondes, La Quinzaine littéraire, Paris, 2005 ;
de L’Almanach des contrariés, Gallimard, coll. « L’arpenteur », Paris, 2002.
Ecrivaine, auteure notamment de
Dick, le zappeur des mondes, La Quinzaine littéraire, Paris, 2005 ;
de L’Almanach des contrariés, Gallimard, coll. « L’arpenteur », Paris, 2002.
(1) Ministère de l’éducation nationale, Ecole et collège : tout ce que nos enfants doivent savoir.
Le Socle commun de connaissances et de compétences 2009-2010, préface de Luc Chatel, Centre national de documentation pédagogique (CNDP), Paris, 2009, 58 pages, 3.90 euros.
(2) Ministère de l’éducation nationale, Qu’apprend-on à l’école maternelle ? Les programmes officiels, préface de Luc Chatel, CNDP, 58 pages, 3.90 euros.
Article paru dans Le Monde diplomatique de Décembre 2009