Derrière mon écran, dans le crépuscule caniculaire de ce début de siècle, larvé comme tant d’autres dans le drapé impeccable de la contestation virtuelle, j’espère un pays où le fait divers et la politique cesseraient d’assurer mutuellement leur subsistance...
Le sang a toujours fait couler l’encre, la plus noire qui soit, de celle qui obscurcit invariablement la pensée. Le fait divers reste pour nombre de médias une manne émotionnelle qui permet de réintroduire les présupposés qui font appel à ce qu’il y a de plus bas, de plus accessible dans l’opinion dite publique.
Le traitement médiatique de la mort de Sidi Ahmed n’a pas fait exception à cette règle implacable, norme journalistique qui consiste à métamorphoser la tragédie humaine en cause nationale. Pas un média au cours de ces derniers jours qui ne se soit employé à susciter la solidarité forcenée, à baliser l’itinéraire de la pensée. Ces orientations volontaires ne résident pas tant dans l’énoncé des faits même que dans la narration de leur contexte.
Pour exemple, l’article de Pascal Ceaux dans Le Monde du 21 juin 2005 exposait, en surplus du drame, deux réalités incontestables, mais qui fournissaient les indices d’un symptôme récurrent de la manufacture des opinions, de cette économie de l’information visant à assurer la diffusion de ses contrefaçons désormais institutionnelles.
Ainsi, le journaliste s’attarde sur la description du parcours scolaire exemplaire de l’enfant, allant jusqu’à préciser "qu’il n’avait jamais pris part à une bagarre" et conclut son article en précisant que "la barre Balzac où résidaient la victime et sa famille est l’un des derniers bâtiments de la Cité des 4000 à ne pas avoir été rénové". Ces deux éléments, imposés par la force impérieuse des rotatives, supposés faire partie intégrante de l’information, révèlent à eux seuls les mécanismes et relèvent de l’uniformisation de la pensée. Car, en définitive, ils ne participent pas de la volonté de savoir mais bien du désir de se faire l’écho d’un contexte émotionnel propre à anticiper l’instrumentalisation d’une tragédie.
Evoquer l’exemplarité d’un enfant fraîchement tombé sous des balles qui ne lui étaient pas destinées suggère une fois de plus qu’il y a des victimes plus défendables que d’autres, qu’il est des morts plus méritants que certains aux yeux de la justice. Comme si le meurtre d’un enfant n’était plus en soi un évènement suffisamment ignoble pour susciter la compassion du lecteur.
Rappeler l’état de la Cité où s’est déroulé "l’incident", ou "l’échauffourée"(pour reprendre les termes du maire de la Courneuve entendus sur France Info), renvoie à un discours éculé qui tend pourtant à trouver dans les pages du Monde la réaffirmation de sa validité : à savoir que le contexte socio-économique est susceptible de tout expliquer, de clore l’effroi suscité en livrant prétendument les dernières clés de la compréhension. Il ne s’agit au final que de fournir l’alibi idéal à toutes les charognes qui viendront piller sur le cadavre de Saïd Ahmed la matière première du discours populiste, toutes tendances politiques confondues.
Pour un peu, on en oublierait presque que faire usage d’une arme à feu relève du libre arbitre et non du seul contexte socio-économique. Qu’il ne s’agit pas d’un énième dommage collatéral d’une situation institutionnelle ni même conjoncturelle...Qu’il serait salutaire de cesser de vouloir éternellement reconstruire une chimérique chaîne des responsabilités, et imputer les crimes à leurs seuls auteurs, enfin. Que la sentence du juge ne soit plus le prélude à celle du peuple, mais sa consécration unanime.
Le sang a toujours fait couler l’encre, la plus noire qui soit, de celle qui obscurcit invariablement la pensée. Le fait divers reste pour nombre de médias une manne émotionnelle qui permet de réintroduire les présupposés qui font appel à ce qu’il y a de plus bas, de plus accessible dans l’opinion dite publique.
Le traitement médiatique de la mort de Sidi Ahmed n’a pas fait exception à cette règle implacable, norme journalistique qui consiste à métamorphoser la tragédie humaine en cause nationale. Pas un média au cours de ces derniers jours qui ne se soit employé à susciter la solidarité forcenée, à baliser l’itinéraire de la pensée. Ces orientations volontaires ne résident pas tant dans l’énoncé des faits même que dans la narration de leur contexte.
Pour exemple, l’article de Pascal Ceaux dans Le Monde du 21 juin 2005 exposait, en surplus du drame, deux réalités incontestables, mais qui fournissaient les indices d’un symptôme récurrent de la manufacture des opinions, de cette économie de l’information visant à assurer la diffusion de ses contrefaçons désormais institutionnelles.
Ainsi, le journaliste s’attarde sur la description du parcours scolaire exemplaire de l’enfant, allant jusqu’à préciser "qu’il n’avait jamais pris part à une bagarre" et conclut son article en précisant que "la barre Balzac où résidaient la victime et sa famille est l’un des derniers bâtiments de la Cité des 4000 à ne pas avoir été rénové". Ces deux éléments, imposés par la force impérieuse des rotatives, supposés faire partie intégrante de l’information, révèlent à eux seuls les mécanismes et relèvent de l’uniformisation de la pensée. Car, en définitive, ils ne participent pas de la volonté de savoir mais bien du désir de se faire l’écho d’un contexte émotionnel propre à anticiper l’instrumentalisation d’une tragédie.
Evoquer l’exemplarité d’un enfant fraîchement tombé sous des balles qui ne lui étaient pas destinées suggère une fois de plus qu’il y a des victimes plus défendables que d’autres, qu’il est des morts plus méritants que certains aux yeux de la justice. Comme si le meurtre d’un enfant n’était plus en soi un évènement suffisamment ignoble pour susciter la compassion du lecteur.
Rappeler l’état de la Cité où s’est déroulé "l’incident", ou "l’échauffourée"(pour reprendre les termes du maire de la Courneuve entendus sur France Info), renvoie à un discours éculé qui tend pourtant à trouver dans les pages du Monde la réaffirmation de sa validité : à savoir que le contexte socio-économique est susceptible de tout expliquer, de clore l’effroi suscité en livrant prétendument les dernières clés de la compréhension. Il ne s’agit au final que de fournir l’alibi idéal à toutes les charognes qui viendront piller sur le cadavre de Saïd Ahmed la matière première du discours populiste, toutes tendances politiques confondues.
Pour un peu, on en oublierait presque que faire usage d’une arme à feu relève du libre arbitre et non du seul contexte socio-économique. Qu’il ne s’agit pas d’un énième dommage collatéral d’une situation institutionnelle ni même conjoncturelle...Qu’il serait salutaire de cesser de vouloir éternellement reconstruire une chimérique chaîne des responsabilités, et imputer les crimes à leurs seuls auteurs, enfin. Que la sentence du juge ne soit plus le prélude à celle du peuple, mais sa consécration unanime.